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25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 22:58

Drive.jpgEn règle générale, lorsque le héros d’un film – et d’un film américain en particulier – est dans sa bagnole, vous ne risquez pas d’entendre de musique techno ou électro (à part, bien entendu, dans les films de SF). Et ce pour plusieurs raisons :

 

La voiture est un des éléments clés du mythe américain. Elle a remplacé le cheval du cowboy, elle incarne les valeurs américaines essentielles, celles des pionniers : liberté, aventure, individualité, propriété. Se déplacer en toute liberté à travers les grands espaces dans « sa » voiture. Retrouver l’esprit nomade fondateur de sa nation. L’évasion, la conquête, le sentiment de ne devoir rendre de compte à personne ; liberté d’action, liberté de mouvement, liberté tout court. Liberté et quête d’identité, la base du road-movie. La voiture comme double et comme extension de soi. La voiture américaine n’est pas le simple objet fonctionnel permettant de se rendre d’un point A à un point B, ou ce lieu clos quelconque propice à la discussion comme elle est présentée d’ordinaire dans le cinéma français…

 

Les musiques utilisées dans l’autoradio du héros ou comme accompagnement d’une scène en voiture sont le plus souvent rock, pour la liberté, l’aventure, l’excitation. Ou rap, si le héros est un jeune noir (ou soul si c’est un noir un peu plus âgé, ou jazz s’il est beaucoup plus âgé… je caricature, mais on n’en est pas loin). De temps en temps des ballades, ou des chansons plus délicates, la voiture est ce cocon où l’on sort des turpitudes du quotidien pour revenir aux origines, ce monde de pionniers idéalisé… Qu’il s’agisse de rock, rap, soul, jazz ou ballades folk, une constante, typiquement américaine : la coolitude. Car forcément, on se sent bien dans « sa » voiture ; on y a fière allure tel le cowboy sur sa monture.

 

Du blues au rap en passant par le jazz ou le rock, le swing et le groove comme le grain de voix des chanteurs créent cette sensation de « coolitude ». Des éléments qui se retrouvent rarement dans la techno où, au contraire, le beat est martial, binaire, et les sons froids. Associer de la techno à un personnage dans une voiture, c’est en faire un « robot », lui retirer sa liberté, son authenticité, le priver de toute la dimension émotionnelle et chaleureuse que retrouve le héros dans sa voiture, dans son « intériorité ». 

 

Autre raison, plus pragmatique, et qui n’est pas spécifiquement américaine : voiture + musique techno évoque facilement ces jeunes bourrins qui circulent en ville avec la techno à fond. Rarement l’image que l’on veut donner d’un héros de film, et même d’un anti-héros. Trop immature, trop primaire. Et des poursuites en bagnole avec musique électro peuvent créer l’impression de se trouver dans un jeu vidéo, un combat de machines, pas un « combat d’hommes ».

 

Voilà pourquoi ce qui m’a le plus marqué, dans Drive, c’est la BO électro de Cliff Martinez, inhabituelle pour un film américain où il est tant question de voiture (si l'on excepte, bien sûr, le Christine de Carpenter). Inhabituelle, mais en parfaite adéquation avec le film, et en particulier son héros. Personnage fascinant par sa… froideur. Ce message, toujours identique et précis qu’il laisse à de « potentiels employeurs », et son sang-froid dans la course-poursuite avec les flics au tout début du film. La course-poursuite, scène vue et revue dans le cinéma américain avec ses visages tendus, grimaçants, jurons, coups de gueule… rien de tout ça ici. Il reste imperturbable, d’une efficacité sans faille, réglé comme la plus parfaite des machines. Au Québec où les titres américains sont systématiquement traduits, Drive a été renommé « Sang-froid »… au moins, c’est en accord avec le héros, et c’est toujours mieux que « Conduire » ou « Roule ».

Le « héros froid », une espèce rare au cinéma où l’on joue tant sur l’empathie et l’identification du spectateur avec le héros. Lorsque ça arrive, on nous fait assez vite comprendre qu’il a vécu des événements particulièrement douloureux, le spectateur s’en veut d’avoir jugé un peu vite ce personnage a priori antipathique, il compatit, c’est dans la poche. Pas de psychologie ici, et c’est tant mieux. Il est froid, faites-en ce que vous voulez. Cohérence entre le film et son personnage : il ne se livre pas, ne s’explique pas, le film ne l’explique pas non plus. Mais sur la longueur, la froideur d’un personnage peut devenir vite lassante, on reste extérieur au personnage comme il reste extérieur aux autres… il faut un minimum d’émotion, et c’est ce qu’il vivra en rencontrant cette jeune femme et son enfant. Un « minimum », c’est bien le mot. A chaque fois qu’il se retrouve avec cette femme, le plus marquant, ce sont les silences. Qui ne semblent pas exprimer de sa part une « timidité maladive », un lourd secret ou un coup de foudre qu’aucun mot ne peut exprimer… plutôt qu’il n’a pas grand-chose à dire. Ce n’est pas un sourire béat qui traverse son visage dans ces moments, il n’y a rien d’extatique, mais un léger sourire, discret, comme s’il commençait à ressentir quelques bribes d’émotion. Rien qui le bouleverse ou le tourmente outre mesure, juste quelques émotions agréables, qu’il découvre et qui lui conviennent, pas besoin d’aller vraiment plus loin ni de s’épancher.

 

Le film brouille chaque fois les pistes avec les clichés attendus. Le mari qui va sortir de prison… on attend la grosse brute, la rivalité avec le héros, le mari qui va deviner qu’il se passe quelque chose entre lui et sa femme, il va la punir, le héros va s’interposer… mais c’est loin d’être aussi balisé. Car la froideur du héros n’est pas une carapace destinée à protéger son « petit cœur meurtri » ou le préserver des horreurs et drames auxquels il est confronté depuis trop longtemps (le cas classique du flic ou du militaire distant ou cynique), elle est dans sa nature. Ce n’est pas quelque chose en plus, qu’il met entre lui et le monde, mais l’expression de quelque chose en moins, d’une certaine forme de vacuité. Un manque d’humanité, d’émotion, de chaleur. Il n’est pas cascadeur ni chauffeur pour braqueurs par goût du risque, révolte, désir de vivre vite et intensément ; mais juste parce qu’il a les capacités pour. Malgré l’histoire d’amour qui se joue, tout chez lui ramène à ce côté froid et mécanique. D’où la musique techno…

  

Le cowboy dompte sa monture, le héros américain moderne dompte sa voiture. S’il fait corps avec elle, il ne se laisse pas dominer par la machine mais lui insuffle une part de sa personnalité, de son humanité… alors que la musique techno tend à figurer le contraire : la machine domine. Mais dans le cas de Drive, ce n’est pas le héros qui se fait dominer par sa machine, il est lui-même machine.

 

A l’excellente BO électro de Cliff Martinez se greffent de temps en temps quelques chansons. Pas le genre de chansons qu’on entend d’habitude dans le cinéma américain, pas de rock, de folk ni de blues, mais des chansons très typées synthpop 80’s. On tremble, d’ailleurs, au début du générique, avec ses lettres roses et les synthés du Nightcall de Kavinsky… le film va-t-il se parer d’une regrettable esthétique kitsch 80’s ? Fausse piste, encore une fois.

 

Les morceaux de synthpop sont assez peu indiqués dans un film. Ils sonnent datés, artificiels, ils n’ont pas l’intemporalité de chansons folk, rock ou blues. Une voix et une guitare, ça n’a pas d’âge… les sons de synthé à la Erasure, A-Ha et autres Pet Shop Boys, si. Et non, je ne dirais pas de mal de Depeche Mode, il m'est impossible de taper sur la musique qui a bercée mon enfance, et eux ont su faire des synthés une utilisation bien plus audacieuse que les autres. Bref...

Des sons synthétiques peu indiqués au cinéma, mais qui fonctionnent ici à la perfection. Le héros de Drive est aux héros traditionnels ce que la synthpop est à la chanson des décennies précédentes. Pas désagréable en apparence, mais relativement froide et mécanique. Ce sont elles, d’une certaine manière, qui nous permettent de mieux comprendre les émotions qu’il ressent au contact de cette femme et de son enfant. Et de deviner qu’il n’y a là pas d’amour fou ou de passion dévorante, juste des sensations agréables et des sentiments encore timides. La techno, c’est « ce qu’il est » : froid, vide, mécanique, réglé au millimètre. La synthpop, c’est ce qu’il devient : entre la machine et l’humain, entre la techno et la chanson traditionnelle.

 

Un élément pourrait sembler contrecarrer ce "portrait en musique de la froideur du héros" : la violence dont il fait part à certains moments. Mais au fond... elle le renforce. Lorsqu’il fracasse à grands coups de pied le crâne de celui qui est venu le tuer, il ne le fait pas en « explosant de rage », mais de manière mécanique, répétitive. Ce qui n’en est que plus dérangeant. Quant à la confrontation avec les deux criminels – ne lisez pas la suite de la phrase si vous n’avez pas encore vu le film – elle n’est pas, comme on aurait pu s’y attendre, le schéma habituel avec héros en fuite, criminels qui le pourchassent, le retrouvent, course-poursuite chaotique, coups de feu, bagarre et héros qui triomphe, mais un héros qui a un plan, et qui, autant que faire se peut, l’exécute… froidement.

 

 

Un mot tout de même sur ce ridicule procès qu’une femme du Michigan fait au film (ou, plus précisément, au studio FilmDistrict). Un procès pour… « trailer mensonger ». Elle pensait que le film serait du genre « Fast & Furious », alors qu’il en est loin (encore heureux). Bref, une situation totalement absurde qui pourrait se résumer par « la bande-annonce me laissait croire que le film serait une grosse daube, mais c’est un beau film, c’est intolérable et scandaleux, remboursez ! » Si l’on pouvait intenter des procès pour mauvais goût, on ne manquerait pas de lui en faire un… Pire, elle ne s’arrête pas là et va encore plus loin dans la bêtise, puisqu’elle accuse aussi le film d’antisémitisme ! Pour quelle raison ? Les deux méchants du film sont des juifs qui, comme les mafieux italo-américains, mettent en valeur leurs racines. Un méchant dans un film ne peut pas être juif sans que le film soit taxé d’antisémitisme ? Il faudra que son avocat nous explique de quelles origines peuvent être les personnages négatifs au cinéma… j’imagine qu’un criminel noir, arabe ou asiatique, c’est aussi du racisme. Une criminelle femme, c’est du sexisme. Un criminel gay, c’est de l’homophobie. Un criminel doit-il être forcément un mâle blanc hétéro ? Mais dans ce cas, ne serait-ce pas aussi du racisme anti-mâle blanc hétéro ? Bref, on nage dans un grand n’importe quoi. Pour que le film soit raciste, il faudrait que soit signifié que les personnages sont mauvais « parce qu’ils sont juifs », mais ce n’est évidemment pas le cas. Dépasser le racisme, c’est ne pas s’empêcher de faire de personnages noirs, juifs, nains, handicapés ou homos des criminels. Après tout, ce sont des hommes comme les autres, capables d’être aussi mauvais que n’importe quel salaud d’hétéro blanc catholique… bon, si le méchant du film est un nain juif noir homo et handicapé, ça fait un peu beaucoup, mais pourquoi pas… au moins, on comprendrait qu’il en a bavé. On ne dira jamais assez les dommages que peut faire sur le cerveau le visionnage en boucle des films du genre Fast & Furious… heureusement – à moins d’être comme cette femme irrémédiablement atteint - il nous reste des Drive 

 

 

La BO de Drive sur Spotify.

 

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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 13:05

Vous aussi, vous êtes déjà lassés de la campagne présidentielle avant qu’elle ne commence réellement ? Vous aussi, la perspective d’avoir soit Hollande, soit Sarkozy président jusqu’en 2017, ça vous déprime ?

 

Heureusement, il nous reste l’art. Quelques grammes de sublime dans un monde médiocre. Le plaisir de l’esthète : fuir la morosité, la lourdeur et la vulgarité du monde en s’abandonnant totalement à des œuvres de génie. Comme le 3° mouvement du premier quatuor de Brahms. Plonger dans ce mouvement, c’est neuf minutes dans un monde sans Sarkozy, Morano, Hollande, Aubry, Mélenchon, Le Pen, Joly, DSK, Coppé… neuf minutes dans un monde de rêve, de finesse et d’élégance. Il n’est pas nécessaire de s’y plonger pour être saisi par la beauté mélodique, mais le plaisir est décuplé lorsque vous lui accordez l’attention qu’il mérite et suivez en même temps les différentes lignes des quatre musiciens. Des mélodies qui s’entrelacent avec une musicalité et une subtilité remarquables.

 

J’insiste à chaque fois que je vous parle de classique sur le fait d’écouter « attentivement »… car la musique pop habitue à une écoute assez simpliste, avec une mélodie accompagnée par de la rythmique et quelques riffs ou gimmicks simples… du coup, l’oreille paresse, et il faut un minimum d’effort, face à de la musique classique, pour entendre simultanément des thèmes et harmonies nettement plus riches et complexes. Mais ce n’est pas un effort « austère et scolaire » qui vous est demandé, juste un effort d’attention et d’abandon pour retirer un plaisir encore plus grand et des émotions beaucoup plus fortes. Si j’osais, je dirais que, pour le sens auditif, la différence entre la pop et le classique est la même qu’entre la pornographie et l’érotisme…  

   

Il n'est pas toujours évident de trouver les meilleures versions des oeuvres classiques sur Grooveshark, là, par chance, il y a ma favorite, celle du quatuor Amadeus...

 

Johannes Brahms – Quatuor à cordes n°1 en do mineur, op. 51, 3° mouvement (1873)

 

 

 

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12 octobre 2011 3 12 /10 /octobre /2011 22:08

koba.jpgMartin Amis – Koba la Terreur

(Editions de l'Oeuvre, 2009)

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout le monde sait que Staline était un tyran de la pire espèce, tout le monde a entendu parler de l’horreur des Goulags, tout le monde sait que le régime communiste de l’ex-URSS  a été terrible… tout le monde le sait, à moins d’avoir été élevé dans une famille de communistes « purs et durs »,

Tout le monde le sait, mais au hit-parade des dictatures ayant érigé au XX° la monstruosité en système, Hitler et le nazisme trônent toujours nettement en tête. La faute, en partie à des intellectuels de gauche occidentaux peu éclairés qui ont longtemps défendu le communiste soviétique ou minimisé sa cruauté. Parmi ces intellectuels, Kingsley Amis, le père du romancier Martin Amis. Comme s’il lui fallait expier cette faute paternelle, Martin Amis a effectué un vrai travail d’historien pour rendre compte de ce qu’a été vraiment l’horreur du régime soviétique. Et le but est largement atteint. Un livre indispensable, pour comprendre pourquoi Staline ne mérite pas plus qu’Hitler de complaisance… ce dont, malheureusement, il bénéficie toujours.

Imaginez que sur ce blog, je vous dise que je suis un nostalgique du III° Reich et que j’ai une fascination certaine pour Hitler. Vous me traiteriez de tous les noms, ne reviendriez plus par ici, et vous auriez entièrement raison.

Imaginez maintenant que je vous dise que j’ai une certaine admiration pour le communisme soviétique et Staline… vous me prendriez pour un type légèrement allumé, un communiste trop dur et radical, ça vous choquerait sans doute, mais beaucoup moins que de la sympathie pour Hitler. Et ça, ce n’est pas vraiment normal…

En 2011, il serait temps qu’on mette Hitler et Staline, le nazisme et le bolchévisme au même niveau, que le « point Godwin » ne concerne pas que le premier : « Même en ajoutant toutes les pertes de la Seconde Guerre mondiale (entre quarante et cinquante millions) aux pertes de l’Holocauste (environ six millions), on atteint un chiffre que le bolchévisme peut sérieusement concurrencer » (P. 110)

Il ne s’agit pas que de « compter les morts » pour décréter quel régime fût le plus monstrueux, mais aussi d’étudier le système, les conditions de vie. Et la vie sous Staline, c’était l’Enfer. Avec un grand E. A quoi ressemblait l’existence d’un citoyen lambda à l’époque ?

Difficile de dormir, avec la police qui vient arrêter chaque nuit des individus dans votre quartier, et avec cette question angoissante : « A quand mon tour ? » Chaque matin, vous partez au travail en disant au revoir à votre femme et vos enfants comme si c’était la dernière fois. Coupable ou innocent, peu importe, la police politique ne s’arrête pas à ce genre de détail. Vous avez applaudi moins de 5 minutes à un discours de Staline diffusé à la radio, votre tête ne revient pas à un de vos collègues de travail, une embrouille avec un voisin ? Il n’en fallait pas plus qu’on vous dénonce comme « traître à la partie », « ennemi du peuple » etc. Direction le commissariat. Là, vous n’avez pas le choix, si vous voulez ressortir vivant de l’interrogatoire, faut avouer. Puis vous vous retrouvez en prison avec 100 compagnons dans une cellule prévue pour 20. Mais ça, c’est pour les plus chanceux, vous pouvez tout aussi bien être exécuté, déporté (pour peu que vous apparteniez à une caste ou une ethnie qui ne plaît pas à Staline et au régime) et vous retrouver dans un Goulag en Sibérie à -50°. Trois mois de travail acharné dans des conditions terribles, puis vous crevez plus ou moins rapidement de faim, de froid, de misère et de maladie…

La grande famine de 1932-1933 doit ses 4 à 10 millions de mort à l’entêtement de Staline dans l’absurdité de son système de collectivisation. Scène de la vie quotidienne : des citoyens qui se jettent sur la première poubelle venue, et y restent accrochés malgré les coups de matraques des policiers. De toute façon, il n’y avait pas de famine, puisque si vous osiez simplement prononcer le mot « famine », c’était la peine de mort. Un Etat qui ment sur tous les sujets à ses citoyens, et des citoyens passibles de la peine de mort pour oser dire la vérité de leurs souffrances. Ou tout juste prononcer le seul mot qui s’impose…  

Staline a privé son peuple de tout. De nourriture, de liberté d’expression, de réflexion, de religion, de sécurité, de dignité, d’humanité... L’Enfer avec un grand E, comme dans Egalité. A sa façon, Staline a réalisé le rêve communiste égalitaire : tous (ou presque) égaux devant la Terreur.

« Le Goulag continua de s’étendre jusqu’à ce qu’il paraisse sur le point d’imploser. La Terreur se poursuivit jusqu’à ce que même les prisons temporaires, les écoles et les églises soient toutes pleines et que les tribunaux siègent vingt-quatre heures par jour. 5% de la population avait alors été arrêtée à titre d’ennemi du peuple ou de criminel apparenté. On dit souvent qu’il n’y eut pas une seule famille, dans tout le pays, qui n’ait été touchée par la Terreur. Si tel est le cas, les membres de toutes ces familles furent aussi condamnés : en tant que membre de la famille d’un ennemi du peuple. En 1939, peut-on penser à bon droit, tout le peuple russe était un ennemi du peuple. » (P. 226)

Les démographes du régime ne donnent pas le chiffre attendu par Staline ? On les fusille. Un gamin de 12 ans se fait violer par un commissaire lors d’un interrogatoire et s’en plaint ? On le fusille (le gamin, bien sûr, pas le commissaire). Hommes, femmes ou enfants, tous égaux face à la terreur. Des gamins encouragés à dénoncer leurs parents, un enfant de 10 ans interrogé toute une nuit et qui finalement « avoue » qu’il fait partie d’un complot fasciste depuis ses 7 ans etc. On en rirait presque tant c’est absurde et inhumain. Chose qu’on ne pourrait dire à propos du nazisme, alors qu’au final, le résultat est le même : des millions de mort dus à un tyran psychopathe et un régime d’une cruauté incomparable.

Loin de moi l’idée de nuancer l’horreur nazie ou de dire que le stalinisme a été pire. Car à ce niveau de monstruosité, il n’y a pas de concurrence qui tienne. Pas de concurrence, de nuance, d’excuse, de complaisance possibles pour l’un comme pour l’autre. L’idéologie nazie est intrinsèquement plus détestable que l’idéologie communiste ? Certes. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Massacrer froidement des millions d’innocents au nom de préjugés racistes ne me semble pas plus abject que de massacrer froidement des millions d’innocents pour tout un tas d’autres raisons (dont les préjugés racistes, qui n’étaient pas absents du régime stalinien). Il faudra qu’on m’explique en quoi buter des gamins au nom du communisme est plus acceptable que de buter des gamins au nom du fascisme…

Il serait trop facile d’imputer à Staline toutes les horreurs du bolchévisme, de le considérer comme un « tyran » à moitié (ou totalement) fou… Martin Amis, à raison, montre bien que Lénine et Trotski ont créé le terrain idéal pour un Staline. Le système, la théorie, les institutions, la violence, les exécutions, tout était bien en place pour permettre à Staline de terroriser et massacrer son peuple :

« (Lénine et Trotski) n’ont pas seulement précédé Staline, ils ont créé pour son usage un Etat policier en parfait ordre de fonctionnement. Et ils lui ont montré une chose remarquable : qu’il était possible de gouverner un pays en tuant la liberté, en multipliant les mensonges et en déchaînant la violence, tout en restant pleinement assuré de son bon droit. » (P. 311)

Hitler et Staline, même combat. Culte de la personnalité qui prend des proportions démentielles, interdiction de penser en-dehors du système, climat de peur, paranoïa et dénonciations, extermination par l’état de millions d’individus. Match nul, c’est peu de le dire. 0 à 0. Ou dizaines de millions de morts vs dizaines de millions de morts. La peste et le choléra…

La « concurrence victimaire » est une absurdité. Surtout à telle échelle. Décréter que l’un ou l’autre du régime nazi ou stalinien a été le plus monstrueux, c’est indécent. Une insulte à la mémoire des dizaines de millions de victimes innocentes du bolchévisme. Torturées, déshumanisées, parquées comme des bêtes, crevant de froid en Sibérie, exécutées pour un oui ou pour un non. Tout ça parce qu’il y avait des « quotas » élevés de traîtres à débusquer. Et des quotas que devaient remplir les membres des institutions policières, militaires et judiciaires, sous peine d’être eux-mêmes envoyés au Goulag. On purgeait à tout-va, et jamais une armée n’a perdu autant d’officiers en temps de guerre que l’armée Russe en temps de paix. On dénonce pour ne pas être dénoncé, on tue pour ne pas être tué.

Bolchévisme et fascisme, un enfer pour les humanistes, un paradis pour les pires crapules :

« Hommage doit être à présent rendu à la plus prodigieuse des dénonciatrices, la grande Nikolaenko, ce fléau de Kiev, cette harpie incroyable que Staline en personne distingua pour la couvrir d’éloges : « simple citoyenne des couches inférieures de la société », elle n’en était pas moins une « héroïne ». A Kiev, les trottoirs se vidaient quand elle sortait de chez elle et les salles étaient prises d’une crainte mortelle en sa présence. » (P. 183)

Il aura fallu attendre qu’elle dénonce Khrouchtchev en personne pour que Staline réalise qu’elle était folle. Entre temps, elle aura « contribué au massacre d’environ huit mille personnes ». Tout un symbole. De l’absurdité, de la folie, de la barbarie, de la bêtise, de la monstruosité du régime communiste soviétique.

A ceux qui pensent que le régime nazi n’a pas d’équivalent dans l’horreur, on conseillait auparavant de lire L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne. On leur conseillera aussi maintenant Koba la Terreur de Martin Amis…

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