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17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 23:56

Imaginez… imaginez que l’on invente, dans le futur, une « machine à dupliquer ». Une grosse machine tout d’abord, qui sera commercialisée ensuite en modèle réduit – le Duplicator S21 - composé de deux tubes d’environ 60 cm de hauteur et 50 cm de circonférence. On introduit un objet dans le premier, on met en marche la machine et, au bout de 5 secondes, une copie parfaitement identique  sort dans le second.

 

Bien évidemment, l’industrie dans son ensemble a tout fait pour empêcher la commercialisation de cette machine révolutionnaire. Mais, pour une fois, les gouvernements ont pris le parti du peuple et ont estimé que ce progrès technologique majeur devait profiter à tous. Pour la modique somme de l’équivalent de 1500 euros actuels, vous pouvez vous offrir le Duplicator S21. C’est pas donné a priori, mais vu les incroyables bénéfices que vous pourrez en tirer, vous la rentabiliserez très vite. En 2100, tout le monde aura son Duplicator S21.

 

Objets, nourriture, et même de petits animaux (un chat, mais pas un berger allemand) peuvent se dupliquer avec cette machine géniale. Pendant que le Duplicator S21 se vend comme des petits pains, l’industrie ne cesse de tenter de faire pression sur les gouvernements pour qu’on en interdise l’usage et la vente. Des pertes considérables pour tout le secteur industriel, et c’est bien ça son problème, mais puisque cet argument ne convainc pas, l’industrie axe toute sa communication sur les millions d’emplois perdus maintenant qu’il n’est plus besoin de fabriquer des objets à la chaîne…

 

Prenons l’exemple du secteur agro-alimentaire, particulièrement touché et virulent contre cette nouvelle technologie. Plus personne n’achètera 6 tomates, 8 pommes, 3 poires, un sachet de noix, 2 kilos de pommes de terre etc. Tout ne s’achètera plus qu’à l’unité. Vous achetez une pomme, vous la dupliquez chez vous, et pendant 2 semaines vous aurez des pommes à volonté. Une pomme = une pomme chaque jour pour chaque membre de la famille, des tartes aux pommes, compotes de pommes etc.

La machine duplique à l’identique, donc lorsque votre pomme (ou une de ses copies) est vieille de 10 jours, vous obtiendrez une pomme vieille de 10 jours… il vous faut donc renouveler régulièrement vos stocks de produits frais. Une fois toutes les deux ou trois semaines, vous faites vos courses, vous achetez une tomate, une pomme de terre, une poire, un citron, un poivron, une pomme, une salade (même pas, une seule feuille de salade suffit), un grain de raisin… les riches qui ne voudront pas s’emmerder à dupliquer un grain de raisin 40 fois achèteront une grappe… 

Avec un seul steak surgelé, un sachet de pâtes et un sachet de riz, vous pouvez faire manger des steaks, du riz et des pâtes pendant 3 ans à toute votre famille. Plus besoin de tuer des milliers de bovins pour les steaks surgelés, une seule vache suffit à nourrir la planète…

 

L’industrie râle, elle est en crise, mais elle diminue aussi de manière considérable ses coûts de production. Un objet à fabriquer, machine à dupliquer, et elle peut l’envoyer partout dans le monde… L’abondance de biens dans les foyers créera plus de déchets ménagers, mais ce ne sera rien, d’un point de vue écologique, face à tout ce qu’on gagnera par ailleurs. Des milliers d’usines fermeront. On ne pillera plus les ressources naturelles de la terre. Il suffit d’extraire une poignée de matières premières, et de dupliquer. Plus besoin de faire tourner d’énormes machines qui créent des centaines d’exemplaires d’un objet. Il n’y a qu’à créer un objet unique, et le dupliquer. Plus de gros camions qui transportent des centaines de caisses d’un même produit à travers toute l’Europe. Un seul objet à envoyer par colis aux distributeurs, qui dupliqueront eux-mêmes. Plus besoin de grandes étendues de terrain pour produire des objets ou de la nourriture. Un plant de tomate ou un poirier suffisent, vous dupliquez ensuite. Les produits jetables ? Pas besoin de rasoirs jetables en paquets de 5, on les achète à l’unité, et ils durent des années. Tout s’achète à l’unité. Des emballages beaucoup plus petits, et un seul emballage, dupliqué, pour emballer chaque objet. Bref, le gain écologique sera gigantesque. Et, surtout, la machine à dupliquer signera la fin de la faim dans le monde ! Une avancée exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité. Une baisse spectaculaire de la délinquance, aussi… et une sociabilité beaucoup plus grande entre les hommes. Pourquoi voler ce qui peut se dupliquer gratuitement ? Les cambrioleurs ne vous braqueront plus avec une arme pour vous forcer à leur filer vos bijoux et objets de valeur, ils frapperont gentiment à la porte, et vous demanderont si vous auriez l’amabilité de leur dupliquer cette jolie Rolex qu’ils ont vue à votre poignet dans la rue. A 50 ans, tout le monde aura une Rolex, tout le monde aura réussi sa vie…

Vous faites une soirée chez vous… chacun repartira avec un sac de livres, DVD, CD et objets divers qu’il aura dupliqué chez vous. Fini, les amis qui vous rendent un livre avec des marques de cafés ou de doigts sales, des CD rayés (quand ils vous les rendent)… ils se contenteront de dupliquer l’objet chez vous. On se partagera tout, puisque ça ne coûte rien de le faire.

 

L’ère de la duplication, c’est aussi le renouveau de l’artisanat. Exit les grosses usines qui fabriquent en série, il suffit de créer un objet, et le dupliquer en autant d’exemplaires nécessaires.        

Finie, aussi, l’attente pour les greffes d’organes… on aura toujours un foie, un rein, un cœur à dupliquer et transplanter.

 

Gain de temps à tous les niveaux, même pour les producteurs. Un boulanger n’a qu’à faire,

 le matin, une baguette, un croissant, un pain au chocolat etc. puis il duplique pour chaque client. Pas de surplus, pas de manque.

 

(D’ailleurs, si les boulangers du temps du Christ - le premier « duplicateur », capable de multiplier les pains - avaient eu la mentalité des rapaces de l’industrie du disque, il aurait été crucifié bien avant l’heure pour « concurrence déloyale et contrefaçon »…)

L’arrivée sur le marché du Duplicator S21, il faut l’avouer, va entraîner une vague de chômage comme on n’en avait jamais vu auparavant. A travers le monde, cela ne se chiffrera pas en dizaines de milliers, mais en centaines de millions. Une crise sans précédent, le chaos total ? Non. Parce que cette nouvelle société, révolutionnée par la machine à dupliquer, ne sera plus une société basée sur l'économie de la rareté, mais une société d’abondance. Il y aura toujours des riches et des très riches (constructeurs automobiles ou de tout objet trop gros pour les duplicateurs individuels…) mais il n’y aura plus vraiment de misère. Les avantages considérables procurés par la machine à dupliquer font qu’un pays peut se permettre d’avoir la moitié de sa population au chômage, et de lui fournir le nécessaire pour vivre et se loger. C’est tout le système économique qui en est bouleversé, mais à lui de s’adapter à ce progrès incroyable, pas l’inverse…  

 

Les producteurs vont pourtant augmenter leur prix, sachant qu’à partir d’un seul de leur objet, les distributeurs pourront en vendre des centaines. Les distributeurs aussi, puisqu’à partir d’un objet vendu, le consommateur en aura autant qu’il voudra.

 

Tout le monde sera riche, il suffira de dupliquer des billets ? Non, bien sûr. L’argent n’aurait aucune valeur dans ce cas. On en aura fini avec les pièces et billets, les transactions ne se feront plus que de comptes à comptes, par cartes bancaires. Vous pouvez dupliquer autant de fois que vous le voudrez votre carte bancaire, ça ne dupliquera pas l’argent dont vous disposez sur votre compte…

 

Mais reprenons le cas de la tomate. Les producteurs souhaiteront vendre « leur » tomate 200 euros, les distributeurs la dupliqueront et revendront ces tomates dupliquées 15 euros pièce. Même chose pour tous les produits alimentaires. Le consommateur trouvera que ça fait tout de même cher, 15 euros pour un produit frais, même s’il peut le dupliquer à l’infini pendant le temps de sa conservation. Alors les gens s’organiseront. Par exemple, dans un immeuble, chacun pourrait avoir la charge d’acheter un produit. Un premier achète un œuf, un deuxième une feuille de salade, un troisième une tomate, un quatrième un poireau, un cinquième une pomme, un sixième du lait etc. Et tout ce petit monde se retrouve un soir toutes les deux semaines autour de la machine à dupliquer… avec un sachet de course, vous nourrissez un immeuble pendant deux semaines, et à un prix très abordable. Encore un gros manque à gagner pour les producteurs et distributeurs, qui augmenteront à nouveau leurs prix !

 

Mais voilà qu’arrive une nouvelle révolution… le Duplicator S25 ! Qui permet de connecter votre duplicateur à internet, et ainsi de partager un objet avec n’importe qui à travers le monde.  

 

L’industrie râle de plus belle, « ses » objets se retrouvent maintenant à disposition de tous, gratuitement, illégalement, sans que cela ne lui rapporte rien. Les gens ne vont même plus au marché, il suffit qu’un internaute achète une tomate, la « mette en ligne », pour que tout le monde la « téléplique ». Les médias nous parlent alors des dangers du Duplicator S25, de la possibilité pour des terroristes d’empoisonner des produits alimentaires et de les mettre à disposition sur le web… mais les internautes ne sont pas cons, ils savent s’organiser et se débrouiller pour se refiler les bonnes adresses. 

 

La question des « droits » reviendra sans cesse, les producteurs de tomates voudront toucher des « droits d’auteurs » sur leurs tomates télépliquées, on créera des labels NourriPUR avec des produits alimentaires à télépliquer légalement…mais l’industrie devra se faire une raison, elle n’a pas su s’adapter suffisamment à ces nouvelles technologies, elle continue de vendre ses produits beaucoup trop chers alors que cette technologie lui permettait de réduire fortement les coûts. Et puis les consommateurs ont très peu apprécié l’introduction des DRM (Duplication Rights Management). Une tomate de l’industrie pouvait se dupliquer 5 fois seulement, puis s’auto-détruisait. Voilà qui a radicalisé bon nombre de consommateurs qui estiment qu’en 2105, quand on a acheté un produit, on a le droit de le dupliquer comme on le souhaite. Ne parlons même pas de ces clips ridicules de l’industrie agro-alimentaire, où l’on voit le jeune Sigismond (les prénoms anciens seront tendance au début du XXII° siècle) rêver de créer un « cassoulet aux chamallows » qui ne verra jamais le jour si ces salopards de tépliqueurs continuent de se partager illégalement de la nourriture…

 

 

L’industrie agro-alimentaire, entre autres, nous expliquera que le téléplicage aura des conséquences désastreuses, qu’on « pensait en avoir fini avec la faim dans le monde, mais que ce sera l’inverse, plus personne ne produira de nourriture puisqu’elle se téléplique librement, et tout le monde va crever de faim ». Sauf que les gens, encore une fois, sauront s’organiser, les adeptes du partage pour lesquels la nourriture, comme la culture, ne doit pas être un luxe mais un droit à partir du moment où elle ne coûte quasiment rien, feront pousser leurs produits, et les mettront à télépliquer librement.   

 

Les industries voudront que se mettent en place des systèmes de contrôle de tout ce qui se transmet par le Duplicator S25… téléflicage vs téléplicage, toujours la même histoire.

 

Je pense que vous avez compris où je veux en venir. Si les gouvernements, dès le départ, s’étaient rangés du côté de l’industrie, le Duplicator n’aurait peut-être jamais pu voir le jour. Soit on l’aurait interdit, soit on l’aurait tellement taxé qu’il aurait peut-être eu beaucoup de mal à se développer, avec chaque industrie voulant récupérer une part du gâteau puisque se sentant « lésée » par cette machine capable de reproduire leurs produits.

 

La nourriture libre, gratuite (après avoir tout de même acheté le Duplicator) et reproductible à l’infini pour tous, ce serait un immense progrès pour l’humanité, non ? Peu importe que certains perdent leurs emplois, que les producteurs se retrouvent dans des situations difficiles, soient obligés de revoir tout leur système de fonctionnement, de fermer des usines… A chacun de s’adapter, à l’état de gérer et de trouver d’autres moyens de financement. La seule vraie question à se poser est : est-ce un progrès pour l’humanité ou pas ?

 

C’est un peu comme le débat actuel autour du nucléaire. S’il y a moyen de le remplacer par une énergie moins dangereuse sans que cela ne représente un coût exorbitant, il est absurde de s’y opposer sous prétexte que cela détruira des milliers d’emploi. A ce compte-là, on n’aurait jamais autorisé toutes les machines permettant de travailler dans les mines et les carrières, on aurait gardé des dizaines de milliers d’hommes pour faire ce travail à la place…   

 

L’arrivée de cette technologie révolutionnaire qu’est Internet permet de partager de manière simple, libre et gratuite tout le savoir et la culture de l’humanité. Vous scannez un livre, vous copiez une symphonie, vous les mettez sur le web, et tout le monde peut y avoir accès. Reproductible à l’infini, sans coût de production, que l’œuvre soit copiée 5, 100, 1000 ou 100 000 fois.

Une technologie qui permet la diffusion libre, gratuite (enfin, l’achat d’un ordinateur et le coût de la connexion exceptés) de l’information, du savoir et de la culture. Un progrès formidable dans l’histoire de l’humanité ? Pas au regard de l’industrie et de la plupart des gouvernants. Faut-il considérer le net comme une gigantesque bibliothèque ou un gigantesque supermarché ? Malheureusement, ils ont fait leur choix. Et ce, depuis le début. Sans ne jamais sembler être un tant soit peu intéressés par l’idée d’une véritable culture libre. Je ne dis pas qu’il faille absolument laisser toute œuvre à disposition libre et gratuite sur le net. Mais ce sont des choses qui auraient pu se discuter, se négocier. Il aurait dû y avoir un vrai débat sur le sujet. L’accès à la culture et au savoir, c’est tout de même fondamental dans une société, et ça mérite un débat de fond. Pas un « niet » catégorique d’une industrie qui dicte ses lois et de gouvernements qui exaucent ses volontés. Tout le monde est d’accord pour dire que les artistes doivent être rémunérés pour leur travail (si leur travail suscite de l’intérêt). Mais pourquoi ne pas réfléchir sérieusement à d’autres moyens de financement ? Une nouvelle économie de la musique ? Comment peut-on considérer comme avant tout néfaste pour la culture une technologie permettant l’accessibilité rapide et simple pour tous à des œuvres de toutes les époques et de toutes les régions du monde ? Cela reviendrait à condamner l’usage du futur « Duplicator S21 », et de préférer que les choses restent en l’état (pénurie, pollution etc.) plutôt que de risquer le « désordre » et le saut dans l’inconnu d’une technologie capable de rendre à peu près tout accessible à tous…     

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14 décembre 2011 3 14 /12 /décembre /2011 00:54

Pi Recordings 26/07/2011

 

steve-coleman-mancy-copie-1.jpg

 

Depuis plusieurs décennies, le jazz s’est embourgeoisé, il a perdu le souffle de rébellion et l’audace qui l’ont animé jusqu’aux années 60-70, lesquels ont été récupérés par les musiques populaires modernes que sont le rock, le rap puis l’électro. C’est une vision des choses un peu rapide, mais assez proche de la perception que l’on a en général de ces musiques.

 

Pourtant, selon le contexte, le regard qu’on leur porte peut être fondamentalement différent. Une petite expérience toute simple pour s’en convaincre : écoutez le dernier album de Steve Coleman en consultant les classements des meilleurs albums de l’année selon le NME, Rolling Stone et Mojo… soit 3 magazines de « référence » pour tout ce qui concerne les musiques populaires modernes. Et là, les rôles s’inversent… d’un côté, une musique aventureuse, intense, passionnante, de l’autre, des albums parmi les plus insipides des sorties rock, électro et pop de l’année. Même pas « bourgeois » (pas assez sophistiqués pour cela), mais petit-bourgeois.

 

Leurs 7 albums de l’année (cf. inrocks) :

 

NME

 

07 St. Vincent - Strange Mercy

06 Arctic Monkeys – Suck It And See

05 Kurt Vile – Smoke Ring For My Halo

04 Wild Beasts – Smother

03 The Horrors – Skying

02 Metronomy – The English Riviera

01 PJ Harvey – Let England Shake

 

Rolling Stone

 

07 The Decemberists – The King Is Dead

06 Lady Gaga – Born This Way

05 Radiohead – The King Of Limbs

04 Fleet Foxes – Helplessness Blues

03 Paul Simon – So Beautiful Or So What

02 Jay-Z & Kanye West – Watch The Throne

01 Adele – 21

 

Mojo

 

07 Josh T Pearson – Last Of The Country Gentlemen

06 White Denim – D

05 Kate Bush – 50 Words For Snow

04 Jonathan Wilson – Gentle Spirit

03 Fleet Foxes – Helplessness Blues

02 The Horrors – Skying

01 PJ Harvey – Let England Shake

 

 

Let England Shake de PJ Harvey n°1 du NME et de Mojo ! J’ai la plus grande admiration pour PJ, elle a su apporter un nouveau souffle au rock indépendant… mais c’était il y a près de 20 ans ! Son dernier album, s’il comporte quelques morceaux assez plaisants, manque cruellement de corps, de personnalité, d’intensité. Rien de bien excitant, ni même d’intéressant. L’album de l’année ? Si l’on considère que le pop-rock sans aspérités à la Coldplay est le nec plus ultra de la musique actuellement, pourquoi pas, sinon, je ne vois pas…

 

The Horrors, très décevants après un Primary Colours plutôt sympathique… voilà qu’avec avec 30 ans de retard, ils se mettent à faire du Simple Minds ou The Mission en plus soporifique que les originaux. Est-ce ce tour de force qui méritait d’être salué par la critique rock ? Ou est-ce que les critiques rock, vieillissants, ont laissé toute exigence au placard pour ne plus vivre que dans la nostalgie de leurs premières soirées adolescentes des 80’s ?

 

Ajoutons à cela le plus mauvais album des Arctic Monkeys, l’électro-pop gentillette de Metronomy, la collaboration Jay-Z & Kanye West qui se laisse écouter autour d’une bonne tasse de thé, les « vieux » et plutôt consensuels Paul Simon et Kate Bush, la pop racoleuse de Lady Gaga, celle d’Adele qui ne vaut guère mieux, un Kurt Vile décevant après son très bel album d’il y a 2 ans (autrement plus fascinant que ce dernier), la pop-rock très vaguement arty des mal-nommés Wild Beasts et le folk-rock assez plat de Fleet Foxes (je n’aimais pas leur précédent, mais il avait le mérite d’avoir un minimum d’originalité).     

          

Rien qui dépasse, pas de grain de folie (je parle de musique et seulement de musique, pas des tenues grotesques de Lady Gaga…), pas d’urgence, d’innovation, d’audace, de parti-pris esthétiques forts,  de larmes, de sang et de sueur… bref, si les classements sont censés refléter quelque chose, ils ne font que refléter ici le rapport petit-bourgeois qu’entretiennent avec la musique ces magazines dits « de référence ». On n'attend pas de trouver chez eux un Steve Coleman album de l'année, bien évidemment, juste un peu plus d'exigence et d'audace... Les Inrocks n’ont pas encore sorti leur classement, mais, bizarrement, je crains qu’il ne relève pas vraiment le niveau…  

 

Et pendant que ce petit monde plébiscite la musique pop la plus inoffensive, le grand Steve Coleman, lui, continue de tracer sa voie. Prouvant ainsi que l’esprit du jazz n’est pas encore mort malgré le succès du jazz lisse à chanteuses (genre Gretchen Parlato cette année).

Si la musique encensée par les NME et autres Rolling Stone est « petite-bourgeoise », celle de Steve Coleman est une musique… noble. Pas la noblesse de privilégiés oisifs nés avec une cuillère en argent dans la bouche, mais la noblesse de l’âme. Libre, aventureuse, inventive, exigeante, sophistiquée, profonde et riche de cultures (des musiques africaines à l’atonalité). De l’art, du grand, du vrai.

 

Le premier titre de l’album, Jan 18, est, musicalement parlant, ce que j’ai entendu de plus fascinant cette année. Un tel art du groove, du contrepoint (superposition de lignes mélodiques différentes) et du jeu en groupe dans un même morceau, c’est assez exceptionnel. Digne d’un Mingus. Cela fait maintenant plus de 15 ans que je vénère Steve Coleman, et il continue de m’étonner (j’aurais aimé en dire autant, même à leur plus « petit » niveau, de Radiohead et PJ Harvey.)

 

Le 2° morceau, Formation I, est un peu plus difficile d’accès pour la simple et bonne raison qu’il n’a pas de section rythmique… mais celle-ci revient sur la longue et envoûtante Odù Ifà Suite. Un voyage musical qui mêle à merveille la transe hypnotique et le groove des musiques africaines au jazz le plus élaboré. Quant au dernier morceau, Noctiluca, c’est un irrésistible feu d’artifice musical à l’image d’un dernier mouvement de symphonie…

 

Féru d’ésotérisme, Steve Coleman est un maître de l’alchimie musicale, et le prouve encore avec cet album. Le chant, magnifique, de Jen Shyu, traité comme un instrument à part entière, dialoguant sans cesse avec les cuivres… l’élégante beauté du chant et les dissonances des cuivres s'entrelacent, soutenus par une section rythmique (deux batteurs, un percussionniste) au groove inégalable.

 

Une musique qui, certes, demande attention et abandon, mais il en va de la musique comme de l’ésotérisme : les plus grandes découvertes et révélations ne se font pas sans effort…

 

 

The Mancy of Sound en écoute sur deezer

 

Précédente chronique sur Steve Coleman : The Way of the Cipher      

 

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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 14:24

Des droits d’auteurs pour les compositeurs de chansons, une évidence ? Pas au regard de l’histoire, comme le montre cet extrait d’un texte de 1850, un mois après la création de la SACEM (c’est en 1851 qu’elle adoptera ce nom), tiré de la revue « La France Musicale », et cité par Jacques Attali dans Bruits (P.U.F, 1977, p. 156) :

 

« Voici qui est nouveau. Il vient de se former une agence pour la perception des droits des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. C’est M. P. Heinrichs (sic) qui est l’inventeur de cette nouvelle industrie dont le but est tout simplement de percevoir ou faire percevoir des droits sur les romances, ariettes, chansonnettes, pots-pourris à l'usage des salons et des concerts. Ainsi, désormais, on ne pourra plus donner une romance sans être exposé à être pris au collet sous peine d'attentat à la propriété (…). Est-il possible que des hommes sérieux emploient leur temps à de pareilles sornettes ? Quoi ! C'est donc dans un moment où il faut proclamer bien haut la liberté de la pensée, où l'on doit entrer dans le cœur des masses par le dévouement et surtout par le désintéressement, qu'on vient soulever une question aussi puérile que ridicule ! Imposer les chanteurs de romance… En vérité, on n'a jamais poussé aussi loin l'absence de sens commun. Si le projet pouvait avoir des suites, nous le combattrions jusqu'à ce qu'il fût réduit à néant. Faites des opéras, des symphonies, des œuvres en un mot qui laissent des traces ; des droits vous sont acquis ; mais, vouloir imposer des chansonnettes et des romances, c’est le comble de l’absurde ! »

 

Un avis assez radical, élitiste, que l’on peut trouver excessif en 2011… mais il a le mérite de nous éclairer sur le fait que de rétribuer en droits d’auteur les compositeurs de chansons ne tombait vraiment pas sous le sens lors de la création de la SACEM. Il faut dire aussi qu’à l’époque de Liszt, Berlioz, Wagner, Schumann et Verdi, la chanson populaire peut sembler assez dérisoire, du moins d’un point de vue purement artistique.

 

Est-ce la qualité et la pertinence de la chanson populaire actuelle qui expliquent que celle-ci mérite une plus grande considération ? Non, bien sûr, il suffit d’entendre ce qui trône en tête des hit-parades actuellement. Ce qui a changé, c’est surtout le regard qu’on porte sur elle, et plus particulièrement le sens que l’on accorde au mot « culture ». La culture, ce n’est plus seulement le « grand art », les grandes œuvres d’une société, mais les œuvres, quelles qu’elles soient, qui nous relient.

 

Contester actuellement les droits d’auteurs des chansons, surtout tels qu’ils sont appliqués, ne découle pas tant d'une position élitiste que d’un véritable goût et respect pour la musique populaire. L’occasion de revenir sur cet énorme mensonge proféré par l’industrie du disque, les collecteurs de droits et certains politiques depuis une dizaine d’années : le fait que le téléchargement illégal tuerait la musique et les artistes. La musique populaire existe depuis des millénaires, elle n’a pas eu besoin de SACEM, de disque ou d’industrie pour évoluer, se développer et jouer un rôle fort au sein de la société. Vous pouvez téléchargez tout ce que vous voulez, soyez sûrs que cela ne tuera jamais la musique, elle continuera d’exister, avec ou sans industrie, avec ou sans sociétés de gestion de droits.

Je ne milite pas pour l’abandon total du droit d’auteurs des chansons, juste pour un assouplissement, adapté à l’époque, aux nouvelles technologies et aux nouvelles manières d’écouter et découvrir de la musique. Mais s’il fallait tendre vers un idéal, le modèle d’avant la SACEM me semble plus honorable… car en ces temps-là, la musique populaire était libre et appartenait vraiment au peuple. Je reviens à cette idée à laquelle je tiens et sur laquelle j’ai déjà écrit, la distinction entre musiques du peuple et musiques de l'industrie. Les musiques du peuple étaient libres, elles appartenaient, elles, vraiment au peuple. Chacun pouvait en faire ce qu’il voulait, les jouer où il le souhaitait, mettre de nouvelles paroles sur des musiques connues, les intégrer dans des œuvres, adapter un air à sa convenance … on ne connaissait en général pas le nom de l’auteur ou du compositeur, ces chansons étaient moins considérées comme la voix d’un individu particulier que de celle du peuple, d’une communauté, et c’est aussi ça qui faisait leur force. A cette horizontalité totale, on oppose maintenant une extrême verticalité. Avec l’industrie tout en haut, les artistes en dessous, et le peuple tout en bas de l’échelle, juste bon à consommer la musique comme on lui impose. Si l’industrie et la SACEM pouvaient vous faire payer quand vous jouer un morceau autour d’un feu de camp ou lorsque vous chantez sous la douche, soyez certains qu’ils le feraient… d’ailleurs, ils l’ont fait, des girl-scouts aux EU ont été sommées de payer des droits sur les chansons qu’elles jouaient. Même lorsque vous achetez un CD ou payez légalement des fichiers numériques, vous ne pouvez en disposer comme vous l’entendez. Le message est clair, depuis un bon moment déjà, la musique populaire n’appartient plus au peuple.

 

Au lieu de penser à réduire la durée des droits pour que les musiques tombent plus rapidement dans le domaine public, on ne pense qu’à les rallonger… trouvez-vous normal que les enfants des enfants des enfants d’auteurs et chanteurs à succès puissent toucher encore des droits 70 ans après la mort de l’auteur (et la SACEM qui continue de prendre sa part au passage) ? Prenons un cas simple : un compositeur qui aurait 20 ans aujourd’hui, compose quelques tubes… il meurt à 80 ans, en 2071. Ses héritiers toucheront donc de l’argent sur ses tubes de 2011 jusqu’en 2141 ! Mettons que dans sa famille, chaque enfant fasse des enfants aux alentours de 30 ans. Ce qui veut dire que les enfants des enfants des enfants des enfants de l’auteur récupèreront encore de l’argent sur toute utilisation de ces tubes datant de plus d’un siècle. Etre artiste, c’est être rentier ? Un titre de noblesse qui se transmet de génération en génération ? Est-ce vraiment défendre les droits des artistes que de faire en sorte qu’un jeune artiste fauché de 2130, qui désirerait utiliser de vieilles chansons de 2011 pour un album, un concert ou un film amateur, soit obligé de payer des droits à des arrières petits-enfants qui n’ont eux-mêmes jamais été artistes ?      

 

Que des utilisations commerciales de musiques permettent de redistribuer de l’argent aux auteurs, qu’un compositeur puisse interdire certaines utilisations de sa musique, on le comprend sans peine, et on aurait du mal à être contre. Mais entre la verticalité totale et l’horizontalité totale, il devrait exister une nouvelle voie, en diagonale, adaptée à l’ère numérique, et soucieuse du peuple dont le rapport à l’art populaire ne doit pas être uniquement celui de bêtes consommateurs. Repenser le système, et, surtout, repenser la SACEM… ou, du moins, permettre à une véritable alternative d’émerger. Car le but de la SACEM, c’est de servir ses propres intérêts avant ceux des artistes. Preuve en est les droits reversés un an après aux auteurs-compositeurs… sûr que de jeunes compositeurs ont moins besoin de recevoir rapidement cet argent perçu sur leur travail que la SACEM en a besoin pour ses investissements dans l’immobilier. Preuve en est aussi le train de vie des principaux cadres et dirigeants de la SACEM, qui ont des salaires dignes du privé et des avantages dignes du secteur public. Le président de la SACEM, en poste depuis plus de 10 ans, gagne plus de 60 000 euros par mois (750 000 euros nets par an, ce que révèle La Tribune, donc près de 600 000 euros bruts, plus les nombreux frais). Mieux vaut vivre sur le dos des artistes que d’être artiste…

De 2005 à 2008, les principaux cadres de la SACEM ont vu leurs salaires augmenter de 10%. C’est donc qu’on nous ment, le business de la musique se porte très bien, internet n’a en rien nuit aux droits d’auteurs, bien au contraire, ces gens-là ne penseraient tout de même pas à augmenter leurs salaires déjà très élevés pendant que les artistes galèrent… Ca doit tout de même lui faire drôle au petit artiste qui reçoit des miettes de la SACEM, de voir le président de l’organisme censé le servir toucher ce qu’il ne pourrait gagner que s’il vendait l’équivalent de 14 millions de titres sur Itunes (cf. Numerama). 

 Encore heureux que le président du directoire de la SACEM, Bernard Miyet soit considéré comme un « homme de gauche proche du parti socialiste », encore heureux qu’il ait remplacé Jean-Loup Tournier qui dirigeait la SACEM depuis 1961, et dont on ne compte plus les abus (lire à ce sujet Main Basse sur la Musique. Enquête sur la SACEM d’Irène Inchauspé et Remy Gaudeau)…

 

Je ne comprendrais jamais les artistes qui défendent ce système, ces toutous serviles de l’industrie du disque et de la SACEM qui font passer l’industrie et le business avant le peuple. Ils se font enfler sans rien dire par l’industrie et la SACEM, et se scandalisent quand des individus modestes écoutent leur musique sans la payer. Heureusement, ils ne sont pas tous soumis, il en existe certains qui contestent avec virulence ce système (voir ce texte de la Fondation Anti-SACEM), ou refusent tout simplement leur logique (cf. Mickaël Mottet : Pourquoi je ne suis pas à la SACEM).

   

Dans la musique populaire, l’important, c’est le peuple et les artistes. Industries et sociétés de collections de droits ne sont que des intermédiaires. Ce qu’aurait pu permettre la révolution numérique, c’est un système plus souple, juste, équitable, qui privilégie les artistes et le peuple, et renvoie l’industrie à ce rôle de simple intermédiaire. Ce n’est ni la musique, ni les artistes que l’Internet aurait pu détruire, mais bien la hiérarchie actuelle, tout à fait contestable, où les intermédiaires ont le pouvoir, alors qu’ils sont censés être au service du peuple et des artistes. Toujours la même histoire…  

 

La création de la SACEM partait pourtant d’une bonne intention. Des auteurs de chanson, dans un café-concert, refusent de payer leurs consommations, parce que l’on interprète leurs morceaux sans qu’eux n’y gagnent rien. Pas d’internet, de disque, de radio, de films à l’époque, donc il pouvait sembler normal que le seul type d’endroit payant où l’on diffusait de la musique rémunère les auteurs.

 

Mais la situation actuelle est fondamentalement différente. J’irais même jusqu’à dire que de payer des droits dans les bars et petites salles où passent des groupes locaux amateurs est actuellement discutable. Les forfaits SACEM sont trop élevés, et sûr qu’un patron de bar y réfléchit à deux fois si un groupe lui demande de pouvoir faire un concert chez lui. Il doit payer le groupe, faire la paperasse pour la SACEM et la payer aussi. Imaginons que la SACEM ne fasse pas payer les cafés et les bars qui font jouer des musiciens… les patrons auraient moins de réticences à les faire jouer. Sans droits à payer à la SACEM pour de petites manifestations, la vie musicale locale serait beaucoup plus forte. Car ce ne sont que pas les jeunes artistes qui profitent de ce système, mais bien ceux qui sont déjà riches (ou leurs ayant-droits s’ils sont morts). Pour que des musiciens intéressent des patrons de bars, fassent venir du monde lors de manifestations, mieux vaut qu’ils jouent des morceaux célèbres plutôt que leurs compos inconnues, ou celles d’obscurs groupes confidentiels. Ce n’est pas en jouant du Skull Defekts  ou du Marcel Kanche que vous allez conquérir un public venu boire un coup et écouter un peu de musique dans un bar sympa, mais en jouant les morceaux des Beatles, Nirvana, Stones, Dylan ; bref, des airs fédérateurs qui vont mettre de l’ambiance, et à côté desquels vous pourrez parfois glisser quelques compos ou morceaux de groupes moins connus, mais susceptibles de plaire au public. Le système pénalise ceux qui ont besoin de faire leurs armes, de trouver des lieux pour jouer devant un public, et favorise ceux qui n’en ont pas besoin. La SACEM est un poison pour la vie musicale, la vitalité de la diffusion de la musique, le rapport que le peuple peut entretenir avec « sa » musique populaire. De nombreux salons de coiffure qui se rebellent contre ce « racket » de la SACEM et les redevances toujours plus élevées, des jeunes dégoûtés à vie de l’organisation de fêtes et concerts, qui leur ont coûté plus qu’elles ne leur ont rapporté à cause des droits SACEM, des sites innovants étouffés dans l’œuf par la SACEM et l’industrie… bientôt, les blogs musicaux ? L’équivalent de la SACEM au Pays-Bas a voulu taxer tout blog qui diffusait de la musique, qui hébergeait des vidéos youtube… 130 euros pour 6 fichiers, 650 euros pour 30 fichiers. De quoi vous dégoûter définitivement de promouvoir de la musique bénévolement sur le net.  

 

Les artistes veulent changer le monde, ce sont des rebelles… en voilà un beau cliché. Qu’ils commencent par changer le système auquel ils appartiennent, qui aurait grand besoin d’un bon coup de balais, et que l’on n’oublie pas cet acteur essentiel de la musique populaire : le peuple.

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