Voilà un disque dont le relatif manque de succès en dit long sur le monde dans lequel nous vivons. Car il n'existe que deux types de sociétés incapables de célébrer un album comme The Shepherd's Dog.
La première... serait une société d'esthètes pointus, une société où la simple recherche de mélodies agréables et délicates serait très mal perçue. Mettons que vous sortiez de chez vous au petit matin pour acheter quelques croissants à la boulangerie d'à côté... vous y trouveriez la boulangère et le boucher en pleine discussion sur le jeu de Martha Argerich, la boulangère la trouve d'une audace réjouissante, ce que conteste le boucher, qui avoue être choqué par certaines libertés qu'il l'a entendu prendre avec les partitions. Dans les mariages, au paroxysme de la fête, le DJ passerait du Velvet et du Nick Cave, car plus festif que ça, ce serait tomber beaucoup trop bas. NRJ ferait des journées spéciales autour de Charlie Parker pour contrer Fun radio qui leur a pris pas mal d'auditeurs avec le succès de sa "semaine Ornette Coleman". La Star Academy serait présentée par Pierre Boulez, elle se déroulerait à l'IRCAM, et le public vient juste d'éliminer Kevin, cet abruti qui n'a pas su intégrer et dépasser le pointillisme sériel dans sa dernière oeuvre. Impossible en discothèque de passer à côté des énormes tubes d'Autechre et d'Aphex Twin, les David Guetta et Bob Sinclar de l'époque que s'arrachent à prix d'or les discothèques d'Ibiza. Enfin, Radiohead serait un "plaisir coupable" qu'on écouterait en cachette, un peu honteux... Dans un monde tel que celui-là, la musique d'Iron & Wine serait considérée comme beaucoup trop agréable et pop pour être honnête.
La deuxième... serait une société où le mauvais goût est la règle, où les ondes sont saturées des tubes les plus vulgaires, une société où la musique est une putain qui racole à tout-va, où les mélodies à succès ont autant de classe qu'un string qui dépasse. La varièt' serait reine, le rhythm'n'blues serait devenu r'n'b, U2 serait un des plus célèbres groupes de rock de la planète, les disques de Céline Dion se vendraient par millions au lieu de simplement susciter l'hilarité générale, les branleurs de manche du metal se prendraient pour des artistes, Britney Spears aurait plus de fans qu'Hélène Grimaud et un type qui proclame sa passion pour les chansons de Chimène Badi, Johnny et Barbelivien pourrait se faire élire à la tête d'un pays que de nombreuses nations considèrent comme le pays du bon goût...
Est-il nécessaire de préciser quelle hypothèse de société est la bonne pour expliquer la relative indifférence face à ce petit bijou d'Iron & Wine ? Car des mélodies et orchestrations aussi raffinées et agréables que celles de The Shepherd's Dog, on n'en trouve pas à tous les coins de rue. A part Sufjan Stevens ou Divine Comedy, ils ne sont pas légions à rivaliser actuellement. L'album marque aussi une évolution notable dans la discographie d'Iron & Wine. Son folk intimiste et délicat (voir son précédent album, le très beau Our Endless Numbered Days) s'ouvre en grand sur de multiples influences (pop-rock, musiques du monde) et une instrumentation riche où la guitare acoustique n'est plus centrale (on retrouve les excellents Calexico, avec lesquels il avait déjà collaboré, dans les musiciens qui l'accompagnent sur le disque). Mais le plus surprenant de la part d'Iron & Wine, c'est cette place nouvelle faite au rythme, les percussions amenant un groove et une sensualité qu'on ne lui connaissait pas (par exemple dans le remarquable Wolves).
Il est vrai que la pochette est assez peu représentative du contenu, on est loin de se douter que derrière ce chien halluciné se cachent des trésors de pop soyeuse et envoûtante. Pourtant, c'est le cas... The Shepherd's Dog n'est peut-être pas l'album le plus révolutionnaire de l'histoire, mais peu importe, des albums qui font la part belle au plaisir de l'écoute sans racolage actif méritent tous les honneurs en cette époque où mélodie rime trop souvent avec putasserie.
Iron & Wine - Boy With a Coin
L'album peut s'écouter en intégralité sur myspace (merci Jdm)
De l'avis (presque) général sur les blogs rock, le dernier Queens of the Stone Age est une déception. Tout le monde (ou presque) en attendait beaucoup, mais l'album n'a pas été à la hauteur des espérances, selon l'expression consacrée. Et je partage totalement ce point de vue. Certes, l'album n'est pas honteux, un mauvais QOTSA vaut toujours mieux qu'un bon Green Day, mais Era Vulgaris n'a pas le souffle, la puissance et les mélodies imparables de ses prédécesseurs. Pourtant, il y a un titre que je sauve du lot. Et, mieux que ça, un titre que je considère comme un des morceaux rock les plus réussis de ces dernières années.
La "magie" de River in the Road, c'est d'arriver à allier trois éléments totalement opposés dans un tout parfaitement cohérent. C'est par l'instrumentation que se crée cette opposition très originale :
1. Le rythme : la batterie martèle un rythme particulièrement martial, carré, répétitif, voire technoïde.
2. L'accompagnement : les guitares à l'inverse, sont chaotiques, dissonantes, malades, malsaines... dignes du meilleur Sonic Youth.
3. La mélodie : le chant est mélancolique, émouvant, lyrique... il flotte nonchalamment au-dessus du magma sonore créé par les guitares et la batterie.
S'ils étaient des personnages... la batterie de River in the Road serait le plus obtus des militaires, les guitares un rockeur anarchiste défoncé au dernier degré et le chant un rêveur délicat et sensible. Les 3 ont des buts inconciliables, le premier veut instaurer l'ordre, le 2° le désordre, et le 3° souhaite un monde meilleur.
Mettez ces trois personnages dans une même pièce, vous n'en tirerez rien de bon. Au mieux, ils ressortent au bout de 5 minutes pensant qu'ils n'ont absolument rien à se dire, au pire, il n'y en a qu'un seul qui sort après avoir massacré les deux autres. Mais voilà, ce qui est impossible dans la vie l'est dans la musique. Dans River in the Road, les 3 fusionnent à merveille et créent un tout qui transcende la somme des parties.
De nombreux moyens permettent aux groupes de rock de marier les contraires. Le plus simple, c'est de faire succéder dans un album des morceaux aux ambiances différentes. Des chansons rock et des ballades, par exemple. Rien d'extraordinaire, tout le monde fait ça, ne serait-ce que pour des raisons commerciales. Encore faut-il être à l'aise dans les ballades comme dans les titres plus nerveux. Ensuite... il y a la possibilité de faire coexister dans un même titre plusieurs ambiances. Alterner des passages lents et mélancoliques et d'autres plus dynamiques. Les groupes de rock progressif et de metal-prog usent et abusent de ce procédé, très courant dans la musique classique... mais il faut un vrai sens de l'architecture musicale pour en faire quelque chose de bien, et n'est pas Beethoven qui veut. C'est ainsi qu'on se retrouve avec des floppées de groupes dits "progressifs" qui ne comprennent pas que de coller des plans, des riffs et des passages divers les uns derrière les autres demande un grand sens de la forme - qu'ils n'ont pas - pour composer des morceaux esthétiquement valables et cohérents.
Et, enfin, reste le fait de superposer des éléments opposés. Plus rare, plus compliqué, mais passionnant quand ça fonctionne. Et si River In The Road est aussi réussi... c'est parce que QOTSA parvient à faire de cette alliance des contraires une évidence. De l'alchimie, et de la bonne, comme vous pourrez vous en rendre compte par vous-même :
5. Andrew Bird - Armchair Apocrypha 7,8 The Besnard Lakes - Are the dark horses 7,8 7. Grinderman - Grinderman7,8 8. Dälek - Abandoned Language 7,5 9. Amy Winehouse - Back to black 7,4 10. The White Stripes - Icky Thump 7,3 11. The Long blondes - Someone to drive you home 7,2 12. Feist - The reminder 7,1 13. Arcade Fire - Neon Bible 7,1 14. LCD Soundsystem - Sound of Silver 7 Wilco - Sky blue sky 7 Jay-Jay Johanson - The Long Term Physical... 7
6
17. Arctic Monkeys - Favourite Worst Nightmare 6,8 Black Rebel Motorcycle Club - Baby 81 6,8 19. Justice - T 6,6 20. The Good, The Bad and the Queen - The Good... 6,6 21. Björk - Volta 6,4 22. Kings of Leon - Because of the Times 6,25 23. Queens of the Stone age - Era Vulgaris 6,2 Nine Inch Nails - Year zero 6,2 25. Kaiser Chiefs - Yours truly Angry Mob 6 Clap Your Hands Say Yeah - Some Loud thunder 6
5
27. Marilyn Manson - Eat me, drink me 5,9 28. Smashing Pumpkins - Zeitgeist 5,7 29. Just Jack - Overtones 5,2 30. The Rakes - Ten new messages 5
4
31. Norah Jones - Not too late 4,5 Mika - Life in Cartoon Motion 4,5 33. Air - Pocket symphony 4,2 34. The Stooges - The Weirdness 4,1
3
35. Bloc Party - A Weekend in the city 3,7
Avant de voter, lisez cet article pour comprendre la notation et les conditions. Cinq nouveaux albums à noter (les retardataires peuvent bien entendu donner leurs notes aux précédents) :
The Field - From here we go sublime (ma note 7)
Battles - Mirrored (6,5)
Interpol - Our love to admire (6)
Carla Bruni - No Promises (4,5)
Plasticines - LP1 (3)
Albums que je demanderai de noter la prochaine fois, ce qui peut permettre à certains de les réécouter cette semaine (mais ne les notez pas maintenant) :
The National - Boxer ; Low - Drums and Guns ; Florent Marchet - Rio Baril ; Klaxons - Myths of the Near Future ; Patrick Wolf - The Magic Position