The Clash – Jean-Philippe Gonot
Le Castor Astral, Bordeaux 2010
On a tout à craindre d’un livre qui s’ouvre par :
The Clash.
Brûlure sanguinaire et sauvage.
Drapeau rouge.
Noir.
Etendard.
Drapeau libre et blanc.
Des chansons, des slogans.
Des mots en fièvres soufflant les poudres de la mitraille et de l’étoile. (P.7)
[…]
Puis continue avec :
L’histoire de The Clash est belle.
Belle parce que mère d’une foule d’autres histoires.
Belle parce que gardienne de cette part de rêve qui émerveille et lève les projets les plus fous.
Rêve de repeindre la face du monde.
Rêve de se battre pour ses idées.
Se faire entendre.
Exister haut et fort. (P.9)
Un portrait hagiographique des Clash ? Fort heureusement, c’est tout le contraire. Une fois cette introduction poético-pompeuse passée, l’auteur parle avec beaucoup d’honnêteté, de justesse et finesse du groupe, sans ne rien cacher de ses parts d’ombre. Une démarche d’autant plus remarquable que les bouquins sur le rock ou la pop ont particulièrement tendance à idéaliser et surévaluer les artistes. D’une manière générale, les ouvrages - même ceux qui se veulent les plus objectifs et impartiaux - accordent toujours plus d’importance à leur sujet qu’il n’en a réellement. Non seulement parce qu’un auteur qui choisit d’écrire sur tel sujet ou personnage est lui-même fasciné, mais aussi parce qu’il faut bien accrocher le lecteur. C’est le cas d’ouvrages historiques parmi les plus sérieux, et c’est encore plus vrai en ce qui concerne le rock. Car si un livre sur tel personnage historique ou grand artiste peut intéresser des lecteurs qui ne leur vouent pas une affection particulière mais sont juste soucieux d’accroître leurs connaissances et leur culture, la limite des bouquins sur les groupes rock est qu’ils s’adressent essentiellement à des « fans ». Lire des ouvrages sur Napoléon, Mozart, Picasso ou Ben Laden n’implique pas forcément d’aimer leurs « œuvres », beaucoup plus rares sont ceux qui se plongent dans des bouquins sur des groupes de rock avec lesquels ils n’ont pas d’affinités. Sachant que la grande majorité de ses lecteurs seront des « fans », les auteurs de biographies d’artistes ou groupes rock ne s’embarrassent que peu de nuances… Ainsi, lorsqu’on tient un bouquin qui ne cherche pas à vous assurer à chaque page que le groupe dont il est question est le plus grand, le plus beau, le plus passionnant de son époque – voire de l’histoire du rock – on ne le lâche pas.
La façon dont JP Gonot traite le duel Clash – Pistols en est un des meilleurs exemples. Car d’un bouquin sur les Clash, on attend forcément que l’auteur valorise les Clash au détriment des Pistols. Le problème des Clash, c’est bien de n’avoir été que le 2° groupe punk, derrière les Pistols qui ont, eux, vraiment changé la donne dans l’histoire du rock. On se doute par avance que, comme tout bon fan des Clash, l’auteur opposera la « sincérité », la conscience politique, la cohésion des Clash (ou « du » Clash pour faire plaisir à The Civil Servant) à l’individualisme, au foutoir, au cynisme et à la brièveté des Pistols. En insistant bien sur le fait que le premier album des Clash est sorti avant le premier album des Pistols, et que les Pistols étaient manipulés par McLaren. Mais il n’en fait rien. Gonot sait bien que les Clash n’auraient pas été les Clash sans les Pistols et, à l’image de Joe Strummer, il ne minimise pas le fossé qui a existé entre les deux au début :
En avril1976, les Sex Pistols font la première partie des 101’ers [Le groupe de Strummer]. En les voyant, Joe réalise qu’un nouveau courant est né, un courant sans précédent qui va révolutionner toute la scène musicale. Il est subjugué. Son groupe n’est pas de taille, ou complètement à côté de la plaque : « Lorsque les Sex Pistols ont joué en première partie de notre concert, je suis allé sur scène alors qu’ils faisaient leur balance. J’ai entendu Malcolm dire à John : « est-ce que tu veux le même genre de chaussures que Steve ou Paul ? Quel genre de pull veux-tu ? » Et j’ai pensé « Merde alors, ils ont un manager et il leur offre des fringues ! » Le reste de mon groupe ne pensait pas grand-chose de tout ça, mais je me suis assis parmi le public. Rotten était vraiment maigre : il a sorti son mouchoir, a soufflé dedans et a lâché : « Au cas où vous ne l’auriez pas déjà deviné, on est les Sex Pistols », et, dans une explosion sonore, ils ont attaqué « Substitute ». Puis ils ont fait « Steppin Stone » des Monkees qu’on jouait aussi, mais ils avaient des années-lumière d’avance sur nous. La différence, c’est qu’on jouait « genre Route 66 » pour les alcoolos du bar dans l’esprit « s’il vous plaît aimez-vous ». Mais là, il y avait ce quartet qui semblait dire : « On en a rien à secouer de ce que vous pensez, bande de cons, c’est ce qu’on aime jouer et c’est comme ça qu’on va le jouer. » On ne pouvait les comparer à un autre groupe, ils étaient très loin devant. Ils venaient d’un autre siècle, ça m’a mis la tête à l’envers. Ils n’en avaient honnêtement rien à foutre. Le public était sous le choc. »
P.75-76
Cette honnêteté, de l’auteur comme de Strummer, est d’autant plus louable que John Lydon, lui, s’est toujours montré assez dur avec les Clash (il détestait leurs prises de positions utopiques et communistes, lui qui a toujours été farouchement individualiste et opposé à tout système). Et cette honnêteté qui parcourt tout le livre et fait que l'auteur ne cache rien des compromis, des luttes intestines et mesquines au sein des Clash (sans pour autant tomber dans le déballage sordide) est, en fin de compte, la meilleure façon de leur rendre hommage. L’auteur a vraiment su trouver le ton juste pour parler de ce groupe humain, attachant, avec ses forces et ses faiblesses, ses coups de génie et ses ratés, ses fulgurances et ses lourdeurs. Bref, un livre indispensable pour tout fan des Clash, mais aussi vivement recommandé à tous les amateurs de rock… de toute façon, lorsqu'on aime le rock, difficile d'être insensible aux Clash...
(L’avantage de ne plus avoir de connexion Internet pendant un mois, c’est qu’on retrouve plus fréquemment le chemin de la bibliothèque… vous aurez donc droit à plusieurs chroniques de livres dans les jours qui viennent, et, notamment, de l’excellent bouquin de Lydon sur les Sex Pistols… spéciale dédicace à Léa)
Pour terminer, mon titre favori des Clash, l’imparable Guns of Brixton :