J’avais écrit un article sur les 40 ans de 1967, année où est notamment sorti le premier album des Doors, et, alors que j’ai l’impression que c’était hier (l’écriture de cet article, pas 1967) voilà déjà qu’on en est aux 40 ans de la mort de Morrison. Il n’a donc suffit que de ce court laps de temps, il y a 4 décennies, pour que les Doors sortent 6 albums et deviennent une des références majeures de l’histoire du rock. Je ne vais pas me lancer dans un hommage à Morrison, c’est déjà fait ici, mais plutôt m’arrêter sur la question de la durée de vie des groupes phares de l’histoire.
S’il y a bien une chose qui me gonfle dans les discours des groupes rock et pop actuellement, c’est le fameux « pour nous, ce qui compte, c’est de s’inscrire dans la durée ». Le rock demande maintenant à ce que l’on fasse des « plans de carrière » ? Leur but est de devenir des fonctionnaires du rock ?
Pourtant, les groupes rock emblématiques ont en général duré assez peu, rarement plus de 5 ans à partir de la sortie du premier album :
The Sonics : 4 albums en 3 ans
The Doors : 6 albums en 4 ans (parce qu'il faut bien compter The Soft Parade, cf. commentaires)
The Velvet Underground : 4 albums en 3 ans (parce que Squeeze, ça ne compte pas…)
The Stooges : 3 albums en 4 ans
MC5 : 4 albums en 4 ans
The Sex Pistols : 1 album
The Clash : 5 albums en 5 ans (parce que Cut the Crap, ça ne compte pas…)
Television : 2 albums en 2 ans
Joy Division (en excluant Warsaw) : 2 albums en 2 ans
The Smiths : 4 albums en 3 ans
The Pixies : 5 albums (si l’on compte Come on Pilgrim) en 4 ans
Nirvana : 5 albums en 5 ans
Ensuite, il y a bien entendu tous ces groupes qui continuent, mais auraient mieux fait d’arrêter. Une période de grande créativité et d’inspiration qui dure autour de 5 ans, puis une longue et lente agonie (artistique, pas forcément commerciale). D’autres qui publient quelques albums importants sur une courte période, puis leurs membres se lancent dans différents projets, et reviennent de temps en temps avec un nouvel album du groupe (Suicide, c’est surtout 2 albums en 3 ans… voire surtout un album). Ou qui ont eu une existence un peu chaotique, comme Love, avec 3 albums en 2 ans. Puis le groupe se disloque, et Arthur Lee sortira encore 3 albums en 2 ans avec un nouveau Love, puis rien pendant 5 ans, et un dernier album pour conclure. Roxy Music, c’est avant tout 5 albums en 3 ans, puis un arrêt, une reformation et un nouveau Roxy Music plus commercial (3 albums en 5 ans).
Enfin, il y a quelques exceptions. Les Stones ont tenu 8 ans avant de faire vraiment de la merde, les Beatles 7 avant de se séparer. Très rare sont les grands groupes rock qui sont restés une dizaine d’années ou plus en gardant un certain niveau de qualité. Led Zep et les Who, par exemple, même si sur la fin ils étaient loin de leur niveau des débuts (surtout les Who). Ou Sonic Youth, étonnant modèle de longévité rock. Les Talking Heads ont tenu une dizaine d’années, de 77 à 88, mais de 80 à 83, ils ont mis le groupe de côté. Sinon, il faut plutôt chercher vers des groupes qui privilégient l’expérimentation et ont ainsi pu tenir plus longtemps que la moyenne avant de n’avoir plus rien à dire (Can, Pink Floyd, King Crimson, Radiohead).
Si l’amour dure 3 ans, le groupe rock, lui, excède rarement les 5… Pour faire une carrière intéressante, mieux vaut la jouer solo. On trouve là des artistes qui ont su rester plus longtemps à un bon niveau. Dylan, Scott Walker, Zappa (un peu bizarre de le classer dans des artistes “en solo”, mais il est tout de même le leader absolu de ses formations), Neil Young, Bowie, Tom Waits, Springsteen, Nick Cave, PJ Harvey (pas tous, évidemment, Hendrix et Joplin se sont vite brûlés les ailes). Lorsqu’on est le seul maître à bord, pas de querelles d’ego qui plombent le groupe. Après tout, le rock n’a pas grand-chose de démocratique, il s’agit d’un individu ou d’une petite bande d’individus en évidence sur une scène devant une foule d’adorateurs qui scandent à l’unisson leur nom et leurs slogans. Mais qu’est-ce que je raconte… c’est aussi ça, la démocratie, des politiciens qui haranguent des foules d’adorateurs qui scandent à l’unisson leur nom et leurs slogans…
Bref, si le rock était un sport, ce ne serait pas un sport d’endurance, mais de vitesse. Frapper vite, fort, quitte à ne pas tenir la durée, l’important est de marquer les esprits.
Voilà peut-être une des raisons pour laquelle le rock peine depuis plus d’une décennie à se renouveler, à inventer de nouveaux courants… à l’origine du rock, l’esprit des 50’s et 60’s, c’était « vivre vite mourir jeune », « hope I die before I get old »… on débarque, on casse la baraque, et on explose en plein vol (au sens propre pour Lynyrd Skynyrd). Maintenant, c’est plutôt vendre suffisamment d’albums pour ouvrir un compte épargne et faire carrière. On nous rabat les oreilles avec le fameux « ¼ d’heure de célébrité » de Warhol depuis l’arrivée de la télé-réalité, conneries en ce qui concerne la télé-réalité musicale, les chanteurs de karaoké qui y participent ne cherchent pas le ¼ d’heure de célébrité, ce qu’ils veulent et répètent à foison, c’est faire carrière, apprendre le métier, travailler sérieusement…
Le rock était un état d’esprit, c’est devenu un métier. Paraît qu’il y a même des rockeurs qui pestent contre les jeunes qui téléchargent leurs albums… Le rock sentait le souffre, il sent la naphtaline. C’était un bras d’honneur au système, il est devenu un système ronronnant qui mériterait bien qu’on lui fasse un bras d’honneur.
On pourra toujours me taxer de « vieux con nostalgique » (d’une époque que je n’ai pas connue), mais faut pas se leurrer, le rock n’a plus grand-chose de rock’n’roll… le rap l’a remplacé de ce point de vue, mais il n’est plus tout jeune non plus… il va encore falloir attendre pour que naisse à nouveau quelque chose de vraiment excitant. Lorsque des Madonna dans les 80’s ou Lady Gaga actuellement deviennent des icônes, c’est que le rock va mal. C’est l’esprit foutraque, libertaire et sulfureux du rock qui s’essouffle et se fait piquer la place par des « artistes » pop aux provocations et excentricités aussi kitsch et calculées que leurs risibles chorégraphies mécaniques. Du grand spectacle sans âme et faussement subversif…
Jim, reviens, ils sont devenus sages ! Enfin non, Jim, reste où tu es, si tu voyais tes anciens complices chercher à fermer le « bar du roi Lézard », énième preuve du fait que les rockeurs vieillissent très mal, tu retournerais fissa dans ta tombe…
En complément, mon article sur Jim Morrison