Il est de bon ton de taper sur Michael Moore. De faire la fine bouche et de le trouver démago, excessif, maladroit. Avec le Syndrome du Titanic, Nicolas Hulot s'est vu, lui, pas mal critiqué sur le caractère trop "déprimant" ou désordonné de son film. S'ils ont tout de même bénéficié de nombreuses critiques positives, il est pour le moins étonnant d'en lire certaines vraiment à côté de la plaque.
Dieu sait que l'esthétique, le style, ont une importance considérable pour moi.... mais devant de tels films, pinailler sur des questions formelles, de réalisation, de cohérence narrative, de mise en valeur de certains effets "spectaculaires" semble limite obscène. Ou, du moins, parfaitement décalé. Ce serait comme gloser sur la chevelure approximative et le costume mal taillé d'un type qui vient révéler un gigantesque scandale politico-financier. Car face à ces deux films les questions de style sont anecdotiques. Ils touchent à des choses véritablement essentielles, bien trop rare et précieux dans nos sociétés hyper-superficielles.
Dans Le Monde, un critique blasé estime que "Si l'on s'est un peu intéressé aux événements financiers de ces derniers mois, la démonstration de Michael Moore n'apporte pas grand-chose de neuf". Je le plains sincèrement. Son film au contraire, nous en apprend beaucoup, car apprendre, ce n'est pas seulement collecter des infos... Tout le monde a entendu parler de la crise des subprimes, de ces gens expulsés de leurs maisons alors qu'ils ont trimé toute leur vie. Mais voir dans le film de Moore comment plusieurs familles l'ont vécu nous en apprend bien plus sur l'absurdité du système qu'un article du Monde, aussi détaillé soit-il. Certains pourraient penser "Bah, Hulot nous parle encore de désastres écologiques, de l'écart entre les pays pauvres et les pays riches, de la sur-consommation, Moore va nous en faire des tonnes sur les riches qui se goinfrent pendant que les pauvres trinquent... pas besoin d'aller perdre deux heures pour voir ça, on le sait tous..." Ils auraient tort. Car il y a un fossé entre voir et savoir, entre être au courant d'un phénomène et en prendre réellement conscience. Même lorsque l'on est parfaitement convaincu et bien informé sur ces sujets, ce sont des choses qui méritent d'être dites et redites, vues et revues. Dans ce monde de bruit et de fureur où tout le monde s'excite pour n'importe quoi, les oeuvres de Hulot et Moore sont salutaires, parce qu'elles, au moins, ciblent les vrais problèmes.
Moore en rajoute parfois dans le pathos, avec des violons en fond sonore ? Il est trop vindicatif contre les grands patrons de la finance ? Mais tout ça n'est vraiment rien face à la cruauté de ce système, il aurait pu aller encore plus loin...
Certes, Michael Moore ne fait pas dans la finesse, ses films sont trop chargés, il use de grosses ficelles, passe des sujets les plus dramatiques à des épisodes comiques... ce n'est pas Raymond Depardon, mais lui cherche vraiment à toucher le plus grand nombre, pas une toute petite poignée d'esthètes exigeants. Et il a bien raison. Car ce qu'il dit, comme ce que dit Hulot, doit être entendu par le public le plus large possible (et malheureusement, le film de Nicolas Hulot n'a pas eu un grand succès, la faute en partie aux médias qui ont trop insisté sur son côté sombre et déprimant). Parfois, la fin justifie les moyens, et Capitalism : A Love Story est bien plus utile avec ses effets pas toujours très subtils, son rythme nerveux et son humour potache qu'un documentaire austère qui n'attirera que 2-3 enseignants. Tant mieux si les films de Moore sont plus divertissants et moins sérieux que les documentaires d'Arte (et encore, ça dépend lesquels), au moins, ils sont plus accessibles, le grand public sait qu'il ne va pas s'ennuyer deux heures à écouter les silences entre les mots.
Appliquer les mêmes critères de jugement à ces films qu'à n'importe quelle oeuvre est absurde. Les films de Moore et Hulot remplissent parfaitement leur fonction : mettre nos sociétés face à leurs pires travers, leurs plus grandes injustices. Se focaliser sur la forme quand le fond touche à des questions aussi fondamentales, faut vraiment manquer sévèrement d'humanité et d'empathie.
Il est tellement facile, le cul confortablement assis sur sa chaise, de distribuer de bons et de mauvais points à Moore et Hulot, de jouer au critique "à qui on ne la fait pas". Mais c'est si petit, si mesquin à côté de ce que nous disent ses films. Bien sûr, on peut toujours discuter de leurs qualités, de certains raccourcis... mais avant toute chose, comment ne pas saluer le travail et l'engagement de Hulot et Moore, nécessaires comme peu le sont. Et si j'osais - et j'ose - je dirais que leurs films sont les deux seuls vraiment indispensables de l'année... pas simplement parce qu'à part Gran Torino et Looking for Eric, peu de films m'ont emballé, mais vraiment parce que rien, au fond, n'a autant d'importance que ce sur quoi ils mettent le doigt. Ils ont les défauts de leurs qualités, dans deux styles opposés (Le Syndrome du Titanic est grave, mélancolique, poétique par endroits, parsemé de doutes ; Capitalism : A Love Story est tonitruant, volontaire, rentre-dedans, drôle, speedé), mais se rejoignent parce qu'ils dressent deux portaits de notre monde à voir absolument.
Cette chronique, vite-faite, n'est sûrement pas ma meilleure, sûrement pas la mieux écrite... peu importe, là aussi, la seule chose qui compte vraiment, c'est de vous pousser - que dis-je, vous pousser... vous exhorter ! - à les voir...