La dernière fois que j’ai écrit un billet pour critiquer l’article d’un blogueur, je me suis pris une volée de bois vert… ce qui est somme toute compréhensible, j’y étais allé un peu fort. Pas de ça ici, il s’agit juste d’apporter une précision, de réagir sur une petite chose qui m’a fait bondir, sans aucune volonté de nuire. Il n’y aurait d’ailleurs pas lieu, le site Chroniques électroniques est un excellent site, indispensable pour tout amateur de musiques électro, les articles sont bien écrits et intéressants, les albums encensés par les auteurs du site sont de qualité (même si je suis loin d’être toujours d’accord avec eux). Bref, aucune raison de leur chercher querelle.
La petite phrase qui m’a fait bondir se trouve dans un article sur l’album de VNDL : « Je dois avouer que j'étais plus que sceptique sur le potentiel de VNDL. Je n'ai certes pas l'oreille absolue et je m'efforce chaque jour un peu plus d'accepter (à défaut de respecter) le goût des autres. »
Si un passionné de musique, qui a manifestement une bonne culture musicale et des goûts exigeants, se trompe sur ce qu’est l’oreille absolue, c’est donc qu’il doit y avoir beaucoup de gens pour lesquels cette notion n’est pas claire. L’occasion d’écrire un article pour l’expliquer.
Contrairement à ce que peut laisser penser la phrase citée, posséder « l’oreille absolue » ne vous donne pas plus de légitimité ou de pertinence pour juger de la qualité d’une musique ou du potentiel d’un musicien. L’oreille absolue ne préserve pas du mauvais goût. Vous pouvez avoir l’oreille absolue et aimer les pires tubes variétoche, et ne pas l’avoir mais vous délecter des quatuors de Schubert ou des œuvres expérimentales les plus pointues.
L’oreille absolue, au fond, ce n’est que de la technique. Sans rapport avec l’esthétique. Qu’est-ce que l’oreille absolue ? La capacité d’associer leurs noms aux notes que vous entendez, sans s'aider d'une note de référence. Si je joue un fa, vous entendez précisément qu’il s’agit de la note fa. Quelle importance pour un auditeur ? Aucune. J’exagère un peu, mais c’est d’une utilité très limitée. Transposé au cinéma, c'est un peu comme si vous connaissiez le nom de chacun des acteurs d’un film, ou que vous puissiez identifier le type de caméra utilisé pour chaque plan. Mais ce n’est pas ça qui rendra votre avis plus pertinent que d’autres sur le film que vous venez de voir.
L’oreille absolue est surtout utile pour les musiciens (car il ne s’agit pas seulement de repérer le nom des notes, mais aussi de mieux identifier l’harmonie des accords via les notes qui les composent). Mais le plus important pour un musicien, c’est déjà d’avoir l’oreille relative. C’est-à-dire de repérer non pas les notes par leur nom, mais par l’intervalle utilisé (vous n’entendez pas qu’il s’agit d’un sol et d’un si, mais vous savez qu’il y a là une tierce majeure). Et encore, nombre de musiciens dans les musiques populaires modernes n’ont quasiment aucune notion de solfège ou de théorie, ce qui ne les empêche pas de composer et jouer de la bonne musique…
Bach, Mozart, Beethoven et Chopin avaient certes l'oreille absolue... mais paraît que Mariah Carey et Malmsteen l'ont aussi. Comme quoi, elle n'est pas gage de qualité.
Il en va de même pour l’oreille que pour la théorie harmonique, le plus important, ce n’est pas le nom des notes, ce sont les intervalles. Savoir que tel accord est un accord de sol majeur, et telle note un ré, ce n’est pas ça qui nous dit quoi que ce soit d’intéressant sur le fonctionnement de l’harmonie d’une musique. Ce qui compte (pour un musicien, surtout), est de savoir que cet accord, par rapport à l’accord fondamental, est un accord du IV° ou V° degré, par exemple, et que le ré est la quinte de cet accord. Un morceau peut se transposer dans toutes les tonalités, vous le reconnaitrez toujours et n’aurez pas l’impression qu’il s’agit d’un autre morceau (à moins de l’écouter transposé immédiatement après l’original), tant que l’on respecte les mêmes rapports entre les accords, les mêmes intervalles. Il n’y a que ceux qui ont l’oreille absolue qui entendront que l’on n’est plus dans la tonalité d’origine. Je suis rentré dans des questions un peu techniques… pour simplifier, prenons un exemple d’actualité, le foot. Si vous voulez comprendre le déroulement d’un match de foot, l’essentiel n’est pas de savoir que le prénom du n°8 est Michael, mais de savoir quelle est sa place dans l’équipe, quel est son rôle sur le terrain.
Posséder l’oreille absolue, c’est en quelque sorte avoir un diapason, ou un accordeur dans le cerveau. Ce qui vous permet d’identifier une note avec justesse, mais en aucun cas d’avoir un avis plus juste que d’autres sur les qualités de telle ou telle musique.
En savoir plus sur l’oreille absolue : Wikipedia (l’article est assez complet)
Pour en savoir plus sur la théorie de la musique, cf. Gammes et tonalités