Aujourd’hui s’est éteint l’un des plus grands chanteurs du XX° siècle, Dietrich Fischer-Dieskau. La veille, c’était Donna Summer. La reine du disco et le roi Dieskau. Malheureusement, c’est de la première qu’on a le plus entendu parler. Rien d’étonnant, au fond, dans ce monde médiocre. Car les deux ne régnaient pas sur le même royaume : la première sur un des genres les plus bêtas de l’histoire, le second sur le chant dans ce qu'il a de plus élaboré, exigeant et poétique : le lied.
Comme tous les très grands artistes, Dietrich Fischer-Dieskau (DFD pour les intimes) ne se contentait pas seulement d’être le meilleur dans son art. Il était aussi particulièrement érudit, musicologue (auteur notamment de l’excellent ouvrage Wagner et Nietsche, L’Initiateur et son Apostat), professeur, chef d’orchestre et peintre.
Il restera sans doute avant tout l’inoubliable interprète de lieder (on dit : un lied, des lieder, bande d’incultes gavés au rock binaire), qu'ils soient de Schumann, Mahler, Brahms, Wolf, et, surtout, ceux du maître du genre, Schubert. Mais il a bien sûr excellé dans tous les domaines du chant classique (opéra, messes, oratorio etc.)
J’avais commencé à préparer une petite sélection de mes lieder favoris par DFD… mais je ne me fais guère d’illusion, la part d’amateurs de classique parmi mes lecteurs ne doit pas être très élevée, mieux vaut y aller en douceur, et n’en laisser qu’un en évidence. D’autant plus que le chant en allemand est plutôt segmentant. Rassurez-vous, je le comprends. Lorsque j’ai commencé à me passionner pour la musique de Wagner, il y a de cela une vingtaine d’années, pas d’internet, j’allais à la bibliothèque de la ville, j’empruntais tous ses opéras mais copiais sur K7 uniquement les ouvertures, préludes, passages instrumentaux et chœurs. Parce que le chant lyrique en allemand et en solo, je ne pouvais pas (en même temps, je crois que c’est moins le chant en allemand que le chant lyrique tout court… j’adore Debussy, excepté son opéra Pelléas et Mélisande, pourtant une de ses œuvres les plus renommées, mais le chant lyrique en français me rebute encore plus que ne me rebutait celui en allemand).
Pour des générations comme les nôtres nourries aux chansons pop, il est toujours difficile de se familiariser avec le chant lyrique, avec ces voix puissantes d’avant l’ère du micro (et ces chanteurs qui savaient chanter juste, avant l’ère de l’auto-tune). Mais avec le temps et un peu de bonne volonté, on s’y fait, comme pour tout. Et je dois à DFD et Schubert d’être parvenu à franchir le cap. A force de lire que les lieder de Schubert étaient au panthéon de la musique romantique, j’y suis revenu, et j’ai fini par les apprécier à leur juste valeur, et à m’habituer ainsi au chant lyrique. Avec les interprétations de DFD, évidemment. Personne n’est tenu d’en faire autant, la barrière de la langue et du chant lyrique peuvent vous sembler infranchissables, mais vous ne savez pas ce que vous ratez… tout simplement des centaines de mélodies qui sont parmi les plus belles qui aient jamais été composées.
Je me souviens avoir été marqué, beaucoup plus jeune, par un critique rock affirmant que les Beatles étaient les plus grands compositeurs de mélodies depuis Schubert. C’est discutable, mais ce qui ne l’est pas, c’est que les Beatles comme Schubert, dans leurs genres respectifs, ont un sens de la mélodie exceptionnel.
Schubert est le génie du lied, son recueil de lieder Winterreise (Voyage d’Hiver) est le sommet du genre, Fischer-Dieskau le plus grand interprète de lieder (avec Murray Perahia au piano, c’est pas rien)… les voilà réunis ci-dessous dans un de mes lieder favoris, Erstarrung (Engourdissement), grand moment de musique romantique en hommage au roi Dieskau :
Dietrich Fischer-Dieskau – Erstarrung (4° lied du Winterreise) :
Le Winterreise par DFD et Gerald Moore en écoute intégrale sur musicme
Fischer-Dieskau sur Wikipedia
Une chanson de la renaissance, une playlist d’une quarantaine de titres (et ce n'est que le début), du lied (et toujours pas de compte twitter ni facebook)… c’est pas avec ça que je vais faire exploser mon blog-rank… J’ai reçu il y a quelques jours un mail d’over-blog adressé aux blogueurs soi-disant influents, avec un questionnaire pour savoir quelles étaient nos recettes… je crains d’être un très mauvais exemple pour ceux qui souhaitent devenir « influents »… tout ce que je peux leur dire, c’est « ne faites pas ça chez vous ».