Hip-Hop 03/2006 Def Jux ****
Si vous pensez que la musique, dans un morceau de rap, se limite à un sample piqué sur un disque de funk... le dernier El-P vous prouvera le contraire. D'une richesse étonnante, la plupart des morceaux de l'album foisonnent d'inventivité, de sons, et ceux qui parlent sans connaître de la "pauvreté musicale" du rap en seront pour leurs frais. L'album contient beaucoup plus d'idées que n'en auront eu pas mal de groupes de rock dans toute leur carrière. Mais pas de virtuosité gratuite ou de démonstration ici, la profusion n'a qu'un objectif : terrasser l'auditeur.
Si vous pensez que le rap, ce sont des types qui font la fête autour d'une piscine et parlent de grosses bagnoles en draguant des bimbos siliconnées... rien de tout cela dans I'll Sleep when you're dead, qui ressemble plus à la bande-son de l'apocalypse qu'à la bande-son de vidéos hip-hop calibrées pour MTV.
Si vous pensez que les rappeurs sont fermés sur eux-mêmes... El-P a collaboré sur cet album avec des artistes aussi différents que Trent Reznor (Nine Inch nails), Chan Marshall (Cat Power), The Mars Volta, Matt Sweeney, et TV on the Radio. Du beau monde, donc...
Si vous pensez que la seule référence cinématographique des rappeurs est Scarface... l'album s'ouvre sur un texte tiré de Twin Peaks de Lynch (ce qui n'est pas pour me déplaire...)
Si vous pensez qu'il n'y a pas de zolies mélodies sentimentales dans le rap... là, ce n'est pas ce disque qui vous démentira. Pas de joliesse, mais une puissance et une tension démentielles. A un point tel qu'il faut être en bonne forme pour l'écouter sinon, on en ressort essoufflé au bout de 3-4 titres. Il est sur ce point comparable au "chef-d'oeuvre" du rap, Fear of a Black Planet de Public Enemy, disque éprouvant s'il en est par son énergie. Pas de véritable intérêt à écouter en fond sonore I'll sleep when you're dead, c'est une expérience qui se vit toutes baffles dehors, pas un disque "sympa et funky"... Si je ne me retenais pas, je dirais bien que c'est une bombe, une tuerie, un disque qui déchire sa race, ce qui est vrai, mais j'ai passé l'âge d'employer ce genre de termes. Je me contenterai de dire qu'il est sombre, intense, riche et puissant comme peu d'albums le sont, tous genres confondus.
El-P avait déjà marqué le monde du hip-hop avec son précédent album, Fantastic Damage, il place la barre encore plus haut avec cet album magistral.
Pas le titre le plus riche de l'album, mais un excellent titre, le premier single (à écouter fort, où à ne pas écouter du tout) :
Smithereens