On a beau nous vendre 2006 comme l’année « MySpace », comme l’année où des jeunes talents par milliers s’affranchissent des circuits traditionnels de l’industrie musicale pour faire entendre leur voie originale… mais le talent et l’originalité, ce sont les vieux de la vieille qui en ont fait la plus belle démonstration !
Notamment… deux dinosaures des années 60, Bob Dylan et Scott Walker. Ironie de l’histoire, le poète subversif Dylan, qui a révolutionné le rock, le folk et fait passer les Beatles à l’âge adulte, sort un album très « classique » - et néannmoins superbe - alors que Scott Walker, le crooner pop 60’s aux mélodies et orchestrations élégantes et raffinées livre rien de moins qu’un des albums les plus dingue, expérimental, sombre, fascinant et complexe de toute l’histoire du rock. Un album qui renvoie aux jupes de leurs mères les jeunes artistes du moment…
Beaucoup d’autres vieux en grande forme cette année :
Des vieux qui ont encore de la réserve et pas mal d’inspiration, cf. Tom Waits et son triple album.
Des vieux qui reprennent des chansons de types encore plus vieux (et même mort), comme Springsteen avec ses Seeger sessions… pourtant un des disques les plus jubilatoires (impossible de résister à ce O’Mary d’anthologie) et engagé de l’année.
Des vieux qui arrivent à maintenir un haut niveau de qualité tout en sortant, depuis plus de 20 ans, en moyenne un album par an (les maintenant plus-ou-moins-bien-nommés Sonic Youth)
Dans la pop anglaise où l’on est un vieux groupe après 6 mois d’existence et dès qu’apparaissent les premiers poils au menton, le leader de Radiohead, Thom Yorke peut faire figure de grand ancien. Mais The Eraser, sans proposer une musique radicalement différente de celle de Radiohead, est sans conteste un des meilleurs albums de l’année.
Des vieux qui ne se contentent pas de réécouter ad vitam leurs titres de gloire passés, mais leur redonnent un petit coup de jeune (le 5° Beatles, Georges Martin, avec Love)
Le vieux Neil Young, toujours fringant, s’est fendu d’une des charges anti-Bush les plus virulentes de l’année, avec son Living with war (album qui ne m’a pourtant pas totalement emballé, je dois bien l’avouer).
Quel est l’abruti qui a dit que la vieillesse était un naufrage ?
En France aussi, entre Johnny, Sardou… non, là c’est indéfendable…
Par contre, en France, on a le Révérend Frost,un petit jeune épatant… qui revisite un répertoire essentiellement fait de rock 50’s, blues et gospel. Je sais, on va m’accuser d’un certain manque de déontologie. Mais dans un pays où la situation politique est transmise au peuple par des compagnes de politiques (Béatrice Schönberg, Marie Drucker, Christine Ockrent), je peux bien à mon modeste niveau faire la promotion d’un compagnon de beuverie !
Il y a bien quelques vieux qui n’ont pas passé l’année… mais qui se rappellent ainsi à nos bons souvenirs et nous ont finalement étonné par leur capacité à résister aux épreuves du temps malgré la quantité astronomique de produits toxiques ingurgités (Arthur Lee, Syd Barrett).
Le grand ancêtre Johnny Cash n’est plus depuis 3 ans. Mais il a été on ne peut plus présent avec la sortie de l’épatant Walk The Line. Les Rolling Stones, eux, sont morts depuis belle lurette, mais ça ne les empêche pas de continuer à battre tous les records de vente de places de concerts, et le DVD musical de l’année est une vieillerie, One + One, le documentaire de Godard sur les Stones.
Matt Elliott, lui, vient de sortir le très beau Failing Songs, où les influences tziganes sont encore plus prégnantes qu’elles ne l’étaient sur son sublime précédent album (influences tziganes que l’on retrouve dans le très remarqué Gulag Orkestar de Beirut). La musique tzigane est fascinante et indémodable, certes… mais ce n’est tout de même pas ce qu’il y a de plus « moderne ».
Plus moderne, donc, les innovants musiciens électros affiliés au label Warp, tels Aphex Twin, Plaid ou Squarepusher. Mais ils ont cette année ressorti les vieilles machines et freiné quelque peu sur l’expérimentation pour opérer un retour aux sources.
Ajoutons à ce tableau une floppée de nouveaux groupes qui ont le regard coincé dans le rétro, tels les « Led Zeppeliniens » Raconteurs de Jack White et Wolfmother. Encore plus fort, les formidables Espers qui remontent jusqu’au Moyen Age –en passant par le folk anglais et le psychédélisme - pour y puiser leur inspiration. Le « tandem » de l’année est la réjouissante association d’Isobell Campbell & Mark Lanegan, tous deux dans le milieu depuis un bon bout de temps, et dont la collaboration renvoie à Nancy Sinatra et Lee Hazzlewood (la nouveauté est que le rôle de pygmalion est ici dévolu à la femme…)
Au risque de passer à mon tour pour un vieux radoteur, je le répète, la véritable surprise et nouveauté de 2006 restera l’œuvre d’un « revenant », Scott Walker, dont l’album hantera longtemps les quelques fous qui ont osé s’y plongé. Ce vieux-là est bien trop en avance sur la musique de son temps pour être apprécié à sa juste valeur. Scott Walker évolue d'ailleurs si loin au-dessus de la mêlée que l’on pourrait le rebaptiser... Skywalker (d'où le titre, je le précise pour les vieux atteints d'Alzeihmer qui l'ont déjà oublié...)