Clint Eastwood, dans la mémoire collective, restera à jamais associé à l’image du cow-boy des films de Leone : dur, viril, ténébreux, sûr de lui et de sa force, impassible et inflexible (image renforcée par la série des Inspecteur Harry qui suivra). Pourtant, dans Impitoyable (The Unforgiven, 1992), il se mettait en scène de manière tout à fait différente : un vieux cow-boy, ex-mercenaire craint par tous, maintenant retiré dans une ferme, dont la première apparition le présente vautré dans la boue à courir maladroitement derrière ses cochons. Puis, successivement, il n’arrive plus à monter à cheval, a honte de son passé violent, choppe un gros rhume et se fait démolir sans résistance par un shériff autoritaire (même s’il se vengera à la fin).
Dans Impitoyable, il déconstruit le héros qu’il interprétait chez Leone, et dans Mémoires de nos Pères, c’est à l’héroïsme en général et à la fabrication des héros qu’il s’attaque. Mais ce qui fait toute l’intelligence du film et de son propos, c’est de ne jamais être manichéen. Les soldats immortalisés par la célébrissime photo du drapeau planté sur Iwo Jima ne sont ni des héros, ni de cyniques imposteurs. Eastwood les observe avec beaucoup de subtilité. Ils parcourent les EU afin de récolter des fonds pour l’armée, manipulés par leurs supérieurs mais conscients de cette mascarade et mal à l’aise avec le rôle qu’on veut leur faire jouer. Pourtant, ils s’acquitteront de leur tâche - hantés par des flash-backs de la guerre - avant tout pour aider leurs compagnons restés sur le terrain. Un des propos forts du film, c’est de dire que certes, à la guerre on se bat pour son pays, mais surtout pour survivre et pour ses camarades, ceux derrière et devant soi.
Sans le vouloir, Eastwood déconstruit aussi la belle histoire racontée par Indigènes… car Indigènes parle de ces soldats maghrébins « qui se sont battus pour la France »… mais Eastwood nous explique qu’à la guerre, on se bat surtout pour soi et ses potes. Indigènes veut réhabiliter les anciens combattants… Mémoire de nos Pères ne cesse de répéter, par le biais des survivants, que les vrais héros sont ceux morts au combat. Je n’ai pas vu Indigènes, mais, comme tout le monde, j’en ai beaucoup entendu parler et n’ai pu échapper à la tournée de promo des acteurs. Si l’intention d’Indigènes est noble et à saluer, pas sûr que le film soit à la hauteur de celui d’Eastwood.
Mémoires de nos Pères ne tombe pas dans l’écueil du film à thèse, ce n’est pas un simple « film de guerre », mais avant tout un film extrêmement émouvant. D’ailleurs, plus l’histoire avance, plus les scènes de batailles se font rares. Il y a bien dans la première partie une extraordinaire scène, intense, spectaculaire, terrifiante (celle du débarquement), sans doute une des scènes de guerre les plus réussie et fascinante que l’on ait pu voir au cinéma. Mais les nombreuses images particulièrement dures de cadavres et de blessés nous ramènent à intervalles réguliers à ce qu’est l’horreur de la guerre.
Le film de guerre est un genre qui semble tellement stéréotypé, avec ses grandes scènes de batailles, ses « On va les avoir ces salauds de japs, viets, boches (rayer la mention inutile) », ses « Continuez sans moi les gars, vous arrêtez pas, laissez-moi juste une dernière clope ». Pourtant les grands réalisateurs ont su transcender le genre et produire des classiques inoubliables : Apocalypse Now (Coppola), Les Sentiers de la Gloire et Full Metal Jacket (Kubrick), Platoon (Oliver Stone), La Ligne Rouge (Malick). On pourra désormais rajouter à cette liste Mémoires de nos Pères d’Eastwood.
J’ai un peu hésité à mentionner Il faut sauver le soldat Ryan de Spielberg. Film très réussi, il est vrai, mais peut-être un peu moins profond que les autres. Et j’ai longtemps eu du mal avec Spielberg (déjà, gamin, je n’aimais pas du tout E.T.) Mais depuis quelques années, Spielberg m’impressionne de plus en plus. J’ai trouvé sa Guerre des Mondes formidable et j’ai été totalement fasciné par Munich. D’ailleurs, Munich et Mémoires de nos Pères, les deux films qui m’ont le plus marqué cette année (en attendant les nouveaux Woody Allen, de Palma et Scorsese) sont pour l’un, réalisé par Spielberg, pour l’autre, produit par Eastwood et… Spielberg.
Mémoires de Nos Pères (Flags of our fathers), de Clint Eastwood avec Ryan Phillippe, Paul Walker, Jamie Bell, Jesse Bradford, Adam Beach, Neal McDonough
Le film est le premier volet d’un diptyque sur la bataille d’Iwo Jima, dont le second sortira début 2007, la bataille étant cette fois abordée du point de vue… japonais !
Filmographie de Clint Eastwood sur Allocine.
Bio (résumée) de Clint Eastwood chez Systool
Ma chronique de Lettres d'Iwo Jima