Je me dis à chaque fois que je ne vais pas rajouter une nouvelle couche sur Hadopi, le téléchargement, les majors et politiques qui ne comprennent rien à la situation... mais faut toujours qu'il y en ait un qui balance publiquement de telles énormités sur le sujet que je ne peux m'empêcher de réagir, à mon modeste niveau. Il semblait pourtant que toutes les bêtises aient été dites sur le problème, mais avec Christophe Lameignère, président du SNEP (Syndicat National de l'Edition Phonographique) et PDG de Sony Music France, on monte encore d'un cran... Ecoutez ses propos, c'est consternant (et le mot est faible) :
Pire encore, selon Metro, il aurait ajouté : « Ces gens-là, ils auraient vendu du beurre aux allemands pendant la guerre ! »...
Toujours la même histoire... un homme de pouvoir qui ne comprend rien, mais alors vraiment rien du tout à ces problèmes qui sont pourtant au coeur de son métier depuis une dizaine d'années, et la ramène malgré tout dans les médias. Il serait bon, cher Christophe, de vous expliquer certaines choses évidentes... ne me remerciez pas, c'est cadeau, mais si vous pouvez inviter vos petits copains (Pascal Nègre et les autres) à lire cette petite remise à niveau, ce serait parfait.
1. Qui est ce fameux "pirate" ?
A vous entendre, Christophe, les gens qui téléchargent et s'expriment sur le net contre Hadopi sont des "petits voleurs mesquins", collabos et qui n'ont jamais rien fait pour la création. On en a entendu des conneries, on s'en est pris plein la gueule depuis 10 ans par des patrons de maisons de disques, artistes, qui nous stigmatisent sans jamais nous écouter vraiment... mais là, on touche le fond.
Le saviez-vous ? On trouve de tout chez les millions de gens qui téléchargent, ces "pirates" comme vous les appelez :
- Des gens qui estiment que la musique (enfin, ce qu'elle est devenue suite aux politiques hyper-commerciales des maisons de disques), ça n'a pas une grande valeur, c'est un truc qu'on écoute comme ça, de temps en temps, c'est sympa, mais ça vaut pas le coup de dépenser 15/20 euros pour un album, il y a des choses plus essentielles.
- Des pauvres. Et en particulier des jeunes, des étudiants. Un âge où l'on est souvent passionné par la musique, et, en même temps, on dispose d'un budget très restreint. Quand on a à peine de quoi payer sa bouffe et son loyer, l'achat de CD n'est pas prioritaire... mais ce n'est pas une raison pour ne plus écouter de musique, ne plus se tenir au courant des dernières sorties ou se contenter des merdes qui passent à la radio.
- Des passionnés de musique. Qui achètent beaucoup d'albums, qui ont une discothèque bien remplie, mais ont toujours besoin de découvrir de nouvelles choses, et rien ne vaut le téléchargement "illégal" pour cela. On ne va tout de même pas payer 10 euros en téléchargement légal un album en mp3 que l'on pourrait acheter "en vrai" par la suite.
- Des acheteurs occasionnels. Qui aiment bien télécharger avant, pour s'assurer que tel disque va vraiment leur plaire, et l'achètent si c'est le cas.
- Des cons (y en a partout, donc forcément chez les "pirates"... paraît même qu'il y en aurait dans l'industrie du disque, si, j'vous assure, des gens dont le métier a été bouleversé par un nouveau média qu'ils n'ont même pas pris la peine de comprendre).
- Des accros. Qui ne peuvent pas attendre 6 mois que la nouvelle saison de leur série favorite soit enfin diffusée en France (si elle l'est), ni quasiment un an (parfois plus) pour l'avoir en DVD et la voir en VO. Ce n'est pas pour autant qu'ils sont des "voleurs", c'est juste que les politiques de programmation, de distribution, sont parfois tellement lamentables et hasardeuses qu'ils vont au plus simple. Et il y a aussi les accros qui ne peuvent s'empêcher d'écouter un album trois mois avant la sortie officielle, s'il se trouve sur le net.
- Des ados. Qui se faisaient des copies de copies de copies de K7 dans les années 80, des copies de CD dans les années 90, et maintenant se font des copies de mp3. Rien de nouveau. A la limite, ceux de cette décennie ont plus de "circonstances atténuantes", car la musique n'a plus un poids aussi important dans leur "culture", mieux vaut se payer tel mobile, telle paire de basket ou tel dernier jeu vidéo à la mode... nous, on avait quasiment que la musique, et pourtant, on la copiait massivement.
- Des gens sympas, ouverts, tolérants, généreux, intelligents. Parce que comme les cons, il y en a partout. Mais en moins grande quantité, je vous l'accorde. Et je vous accorde aussi qu'il y en a sans doute quelques-uns dans l'industrie du disque. Il est juste dommage que ce ne soit jamais eux qu'on laisse s'exprimer dans les médias, mais toujours des types obtus qui ne comprennent pas la situation.
- Des musiciens et des artistes. Non pas les grosses stars que l'on entend pleurnicher dans les médias depuis l'arrivée de Napster, mais les "petits", des musiciens qui, par passion, ont pris le risque de se lancer dans cette voie, ont à côté un job mal payé qui leur permet juste de survivre (ou quelques maigres contrats)... ce sont des fanas de musiques, qui ne peuvent bien entendu se payer tous les albums qui les intéressent, et téléchargent "illégalement".
- Des idéalistes. L'industrie du disque les a tellement révolté qu'ils ont choisi de ne plus rien acheter. Parmi eux, on trouve notamment ceux qui ne se tournent plus que vers les "musiques libres" ou les artistes indépendants.
Bien sûr, il existe sûrement dans le lot de "lâches voleurs mesquins et collabos qui n'ont jamais rien apporté à la création"... mais qu'est-ce qui vous permet de stigmatiser ainsi tous les gens qui téléchargent et ont le malheur de s'exprimer sur le net contre Hadopi ? Vous avez commandé une étude statistique sur les comportements et la personnalité des "pirates" ? Parce que les seules qui ont été faites montrent que les gens qui téléchargent le plus sont en général les plus gros acheteurs de "produits culturels" (je déteste cette expression... particulièrement, Christophe, pour la majorité des productions qui viennent de chez vous, Sony... car je vois bien le produit, mais je ne vois pas la culture).
Je n'ai listé que quelques exemples, mais il y en aurait beaucoup d'autres. Autant dans les pratiques, les raisons qui poussent à télécharger, que dans le regard porté sur le problème. Cela va du modéré, qui souhaite vraiment qu'on puisse trouver une solution qui ne lèse ni les artistes, ni le public, au radical, qui veut foutre en l'air l'industrie du disque. Pour ma part, je suis un "radical modéré"... j'aimerais que l'on trouve une solution qui convienne aux artistes et au public, tout en démolissant l'industrie du disque...
2. Dénonciation, totalitarisme, boycott et collabos.
C'était bien tenté, Christophe, mais complètement loupé. Vous avez essayé de retourner un discours que l'on retrouve parfois chez les internautes, celui de "résister face aux majors qui monopolisent le marché et ont une politique scandaleuse "... sauf que très rares sont ceux qui, comme vous, touchent le point Godwin et en viennent à comparer les majors aux nazis. Complètement loupé, car faut pas déconner... qui a le pouvoir dans cette histoire ? Ce sont bien vous et vos petits camarades défenseurs d'Hadopi, que l'on entend s'exprimer très majoritairement dans les gros médias, pas les modestes internautes, dont les avis sur la question via les blogs, forums,sites spécialisés touchent infiniment moins de monde que le journal télé de TF1... vous savez, le média le plus puissant de France, celui ou un salarié qui a osé envoyer une lettre "personnelle" à son député pour lui expliquer pourquoi Hadopi était une mauvaise loi s'est retrouvé viré pour cela.
Si les mots des internautes sont parfois durs, s'ils en appellent au boycott, c'est parce qu'ils n'ont plus que ça. Depuis le début, on se fout de leur avis ; gouvernement, majors et artistes "embedded" vont main dans la main sans se soucier de toutes les nuances que ces "pirates" peuvent apporter sur les raisons du téléchargement, de la crise du disque etc...
Quant à faire "l'outing", comme vous dîtes, de députés qui ont voté pour... je ne vois pas où est le problème. Les députés sont nos représentants, ils nous doivent des comptes, et c'est la moindre des choses qu'ils assument publiquement leurs votes. Ce n'est pas de la dénonciation, c'est de l'information. Les gens doivent savoir pour quoi votent leurs députés. Car des députés qui voteraient tous en secret les lois, sans avoir à rendre de comptes, ce serait, pour le coup, assez peu démocratique.
Je ne vois pas non plus ce qui vous scandalise tant dans le boycott d'artistes pro-Hadopi (d'ailleurs, vous mentez effrontément en prétendant que tous les artistes sont pro-Hadopi, plusieurs se sont exprimés contre). L'industrie du disque et les artistes se sont largement enrichis en jouant sur le "culte de la personnalité" (là, je vous arrête tout de suite, ne partez pas dans un autre délire Godwinien, il n'y a aucune allusion au culte de la personnalité nazi ou stalinien, c'est bien pour cela que je l'ai mis entre guillemets, ne mélangeons pas tout)... ils ne vendent pas seulement leur art (un album, un film) mais aussi une "personnalité". En créant ce lien particulier avec le public, ils touchent plus de monde, et plus durablement... normal qu'il y ait un revers de la médaille et que certains veulent les boycotter lorsqu'ils les déçoivent ou les irritent par leurs prises de positions.
3. Pourquoi l'anonymat sur le net ?
Il semble, mon petit Christophe, que cela vous énerve particulièrement. Ces "lâches internautes" qui fustigent artistes, producteurs et députés cachés derrière leur ordinateur... tout d'abord, la technologie a évolué - mais les pontes de l'industrie du disque n'y comprendront jamais rien - et sachez que l'on peut maintenant insulter les artistes sur son iphone dans un bar, dans le train, à la plage, chez des amis, etc... Mais bon, ce n'est qu'un point de détail (là encore, ne voyez pas de référence douteuse).
Puisqu'il faut tout vous expliquer, allons-y sur ce qui semblait pourtant aussi évident, l'anonymat sur le net.
Contrairement à ce que racontent certains, avant Hadopi, internet n'était pas une zone de non-droit, et le téléchargement illégal pouvait être durement sanctionné par la loi. Certains internautes en ont d'ailleurs fait les frais. Les gens ne sont pas complètement stupides, ils ne vont pas prendre le risque de déclarer sur le net "je m'appelle Michael Dupont, j'habite rue du maréchal Foch à Bordeaux, et je télécharge comme un malade".
Vous ne comprenez pas que des gens s'expriment de manière anonyme ? Il n'y a rien de plus simple et logique. Contrairement aux artistes et producteurs, la grande majorité d'entre-nous sommes des gens qui n'ont aucune existence "médiatique", publique. On ne vend rien, on n'a rien à gagner à s'exposer de la sorte, mais beaucoup à perdre. N'importe qui pourrait tout savoir de nos opinions politiques, religieuses en tapant notre nom sur google et en lisant ce qu'on a dit sur tel ou tel sujet dans tel forum, et ça pourrait nous être très dommageable (exemple simple : on postule pour un job, et le type chez qui on a posé notre candidature ne va pas nous prendre parce qu'il n'a pas aimé ce qu'on a dit sur tel fait politique). De toute façon, nous ne venons pas sur le net pour mettre en valeur notre nom et notre identité (à part certains sur cette vaste fumisterie qu'est Facebook), mais nos opinions. Les gens ne traînent pas sur ce blog, par exemple, pour lire une "personnalité", mais des avis, des opinions. Que je m'appelle Gustave Thénardier, Gérard Tarantino, Gene Tierney ou Guillaume Tell, tout le monde s'en tape, ça n'a pas le moindre début d'importance, seul compte ce que j'exprime, pas mon nom. Idem pour tous ceux qui combattent Hadopi sur le net. Mais n'en déduisez pas bêtement que nous n'avons pas de "courage" et que nous restons planqués. La plupart d'entre-nous sommes tout à fait prêts, si ça peut faire avancer les choses, à débattre publiquement avec vous, Pascal Nègre et les artistes pro-Hadopi, on serait ravis d'être entendus. Et même seul contre vous tous, ça ne poserait aucun problème, vu la minceur de vos arguments et votre méconnaissance du net et du téléchargement. Je suis certain qu'une bonne partie de ces gens que vous traitez de lâches et de voleurs sont prêts à en faire autant...
Enfin, le meilleur moyen pour éviter d'être confronté à la virulence de certains propos d'internautes est simplissime... il suffit d'arrêter de les stigmatiser comme l'industrie et les politiques le font depuis le début, et, surtout, d'arrêter de raconter n'importe quoi.
Sans rapport - quoique - mais l'article est si remarquable que je ne peux faire autrement que vous inciter à aller le lire : 554 Haute fidélité : Mono Vs Stereo (The Beatles : Revolution (mono))