2 août 2009
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Afin d'illustrer le prochain article, je commence une petite série sur l'interprétation.
Pour débuter, une oeuvre que tout le monde connaît et a forcément dans l'oreille, Les 4 Saisons de Vivaldi. Car même la plus rebattue des oeuvres peut trouver un nouveau souffle, une nouvelle vie, proposer un nouveau regard grâce à l'interprétation. C'est le cas de celle, remarquable, de l'ensemble baroque Il Giardino Armonico. Mais avant d'écouter cette version, en voilà tout d'abord une plus "standard", pour mieux saisir la différence :
L'Hiver, 1er mouvement :
Et maintenant, la version d'Il Giardino Armonico :
C'est la même oeuvre, la même partition, et pourtant, on n'a pas l'impression d'entendre la même musique. On reconnaît les thèmes, les mélodies, mais le traitement du son et les nuances n'ont rien à voir. Le classique, contrairement à ce que pensent certains, n'est en rien une musique "figée". C'est une musique qui, comme toute musique, "s'interprète", et laisse une part non négligeable de liberté à celui qui la joue, qui a toujours l'occasion de donner sa vision de l'oeuvre, d'en proposer une nouvelle lecture. En classique comme en jazz, un grand interprète n'est pas un virtuose à la technique irréprochable, c'est avant tout un musicien capable d'apporter un regard nouveau. Pour autant, on ne peut pas faire n'importe quoi avec l'oeuvre.
Prenons maintenant le fameux orage de l'Eté. Avec deux extrêmes, une interprétation géniale (celle d'Il Giardino Armonico) et une ridicule... du groupe metal Children of Bodom. Vous me direz : celle de Children of Bodom n'a pas la prétention d'être une grande interprétation classique, ce sont juste des musiciens metal qui s'amusent (mais ils n'en ont vraiment pas l'air) à reprendre ce morceau efficace et puissant... sans doute. Je ne sais pas du tout quel est le but de leur version... peut-être un exercice de style... qui est là pour nous montrer tout ce qu'il ne faut pas faire (merci Children of Bodom d'avoir parfaitement rempli ce rôle ingrat). Et encore, ils ne sont même pas les pires... vous vous doutez bien qu'un puissant "tube" classique, des légions de guitaristes metal se sont rués dessus pour le massacrer... il n'y a qu'à cliquer pour tomber sur des versions toutes plus consternantes les unes que les autres sur youtube.
Children of Bodom - L'Eté (3° mouvement):
Passons sur le kitsch de jouer du baroque sur des guitares hyper-saturées avec le disque en fond sonore... et occupons-nous juste de leur interprétation. C'est plat, mécanique, ils "jouent les notes", et c'est tout. Ils ne rendent même pas cette oeuvre plus "rock'n'roll", puissante ou intense, la version d'Il Giardino Armonico, sur instruments baroques, est, elle, bien plus violente, sauvage, et 10 000 fois plus inspirée que la leur (enfin, manière de parler, parce que 10000x0, ça fait encore 0) :
Il Giardino Armonico - L'Eté (à écouter bien fort) :
Là, contrairement à Childtren of Bodom, il y a de la musicalité. Et de l'interprétation. Car au fond, il n'y a même pas d'interprétation chez Children of Bodom, on a l'impression qu'ils sont déjà bien contents de jouer les notes justes (la plupart du temps) telles qu'elles ont été écrites sur la partition, point barre. Comme un piano mécanique. Pas de nuances (enfin, juste un bend à la fin...), de vie, de sensibilité, de réflexion, de vision... seulement des doigts qui tentent de se déplacer sur les bonnes cases dans le bon tempo. Mais heureusement, ce n'est pas ça, être musicien. Sinon, n'importe quel robot pourrait devenir un grand interprète (quoiqu'on est maintenant capable de donner à des robots un minimum de sens des nuances, qui leur permettrait de livrer des versions plus "humaines" et subtiles que celle de Children of Bodom).
Non seulement la version d'Il Giardino Armonico est bien plus nerveuse, sauvage et originale, mais elle est aussi bien plus pertinente et fidèle à l'oeuvre. Car il s'agit ici d'un orage d'été. Il n'y a pas d'orage chez Children of Bodom, puisque tout est joué de manière égale... alors que le travail d'Il Giardino Armonico sur les crescendos, les contrastes, ruptures, est impressionnant. Chez eux, on sent bien ces grandes bourrasques de vent... chez Children of Bodom... rien. Pour leur défense, on pourrait dire que la guitare électrique ne permet pas d'avoir le touché du violon. Certes, mais quel intérêt, alors, d'en livrer une version pour guitare électrique ? C'est aussi absurde que de jouer du Chopin sur clavecin, et d'enlever ainsi toutes les possibilités dynamiques (les variations d'intensité qu'on peut mettre sur les notes) qui sont fondamentales dans ses oeuvres. Pourquoi proposer cette version ? Parce qu'ils aiment le morceau et veulent le jouer ? Dans ce cas, pourquoi l'interpréter en concert comme ils le font, le filmer... suffisait juste de le faire peinard dans sa chambre. Pour montrer que le classique, c'est très laid sur guitare électrique ? Ca, on le sait depuis Malmsteen... Pour dire "on est des peut-être une bande de graisseux, mais on a de la technique, on peut reprendre du classique" ? Et après... Il y a des milliers de gamins dans les conservatoires qui savent jouer du classique... et où est l'essentiel, la musicalité ?
Non, le seul intérêt de cet exemple caricatural et des reprises metal de titres classiques, c'est de bien nous montrer à quel point l'interprétation est un art, et qu'il n'est pas donné à tout le monde. A partir d'une même oeuvre, avec les mêmes notes, on peut faire le pire (les guitaristes metal et apprentis-guitaristes sur youtube) et le meilleur, qui touche au génie par sa musicalité, sa vision de l'oeuvre, comme le font Il Giardino Armonico. Même si les 4 saisons vous sortent par les oreilles, vous ne pourrez qu'être fasciné par la qualité de leur interprétation...
Mais rassurez-vous, cette série de billets sur l'interprétation ne sera pas constituée chaque fois de reprises metal à deux balles face à de grandes versions, ce serait trop facile, mais plutôt d'interprétations très différentes qui n'en sont pas moins chacune remarquable et pertinente.
Pour débuter, une oeuvre que tout le monde connaît et a forcément dans l'oreille, Les 4 Saisons de Vivaldi. Car même la plus rebattue des oeuvres peut trouver un nouveau souffle, une nouvelle vie, proposer un nouveau regard grâce à l'interprétation. C'est le cas de celle, remarquable, de l'ensemble baroque Il Giardino Armonico. Mais avant d'écouter cette version, en voilà tout d'abord une plus "standard", pour mieux saisir la différence :
L'Hiver, 1er mouvement :
Et maintenant, la version d'Il Giardino Armonico :
C'est la même oeuvre, la même partition, et pourtant, on n'a pas l'impression d'entendre la même musique. On reconnaît les thèmes, les mélodies, mais le traitement du son et les nuances n'ont rien à voir. Le classique, contrairement à ce que pensent certains, n'est en rien une musique "figée". C'est une musique qui, comme toute musique, "s'interprète", et laisse une part non négligeable de liberté à celui qui la joue, qui a toujours l'occasion de donner sa vision de l'oeuvre, d'en proposer une nouvelle lecture. En classique comme en jazz, un grand interprète n'est pas un virtuose à la technique irréprochable, c'est avant tout un musicien capable d'apporter un regard nouveau. Pour autant, on ne peut pas faire n'importe quoi avec l'oeuvre.
Prenons maintenant le fameux orage de l'Eté. Avec deux extrêmes, une interprétation géniale (celle d'Il Giardino Armonico) et une ridicule... du groupe metal Children of Bodom. Vous me direz : celle de Children of Bodom n'a pas la prétention d'être une grande interprétation classique, ce sont juste des musiciens metal qui s'amusent (mais ils n'en ont vraiment pas l'air) à reprendre ce morceau efficace et puissant... sans doute. Je ne sais pas du tout quel est le but de leur version... peut-être un exercice de style... qui est là pour nous montrer tout ce qu'il ne faut pas faire (merci Children of Bodom d'avoir parfaitement rempli ce rôle ingrat). Et encore, ils ne sont même pas les pires... vous vous doutez bien qu'un puissant "tube" classique, des légions de guitaristes metal se sont rués dessus pour le massacrer... il n'y a qu'à cliquer pour tomber sur des versions toutes plus consternantes les unes que les autres sur youtube.
Children of Bodom - L'Eté (3° mouvement):
Passons sur le kitsch de jouer du baroque sur des guitares hyper-saturées avec le disque en fond sonore... et occupons-nous juste de leur interprétation. C'est plat, mécanique, ils "jouent les notes", et c'est tout. Ils ne rendent même pas cette oeuvre plus "rock'n'roll", puissante ou intense, la version d'Il Giardino Armonico, sur instruments baroques, est, elle, bien plus violente, sauvage, et 10 000 fois plus inspirée que la leur (enfin, manière de parler, parce que 10000x0, ça fait encore 0) :
Il Giardino Armonico - L'Eté (à écouter bien fort) :
Là, contrairement à Childtren of Bodom, il y a de la musicalité. Et de l'interprétation. Car au fond, il n'y a même pas d'interprétation chez Children of Bodom, on a l'impression qu'ils sont déjà bien contents de jouer les notes justes (la plupart du temps) telles qu'elles ont été écrites sur la partition, point barre. Comme un piano mécanique. Pas de nuances (enfin, juste un bend à la fin...), de vie, de sensibilité, de réflexion, de vision... seulement des doigts qui tentent de se déplacer sur les bonnes cases dans le bon tempo. Mais heureusement, ce n'est pas ça, être musicien. Sinon, n'importe quel robot pourrait devenir un grand interprète (quoiqu'on est maintenant capable de donner à des robots un minimum de sens des nuances, qui leur permettrait de livrer des versions plus "humaines" et subtiles que celle de Children of Bodom).
Non seulement la version d'Il Giardino Armonico est bien plus nerveuse, sauvage et originale, mais elle est aussi bien plus pertinente et fidèle à l'oeuvre. Car il s'agit ici d'un orage d'été. Il n'y a pas d'orage chez Children of Bodom, puisque tout est joué de manière égale... alors que le travail d'Il Giardino Armonico sur les crescendos, les contrastes, ruptures, est impressionnant. Chez eux, on sent bien ces grandes bourrasques de vent... chez Children of Bodom... rien. Pour leur défense, on pourrait dire que la guitare électrique ne permet pas d'avoir le touché du violon. Certes, mais quel intérêt, alors, d'en livrer une version pour guitare électrique ? C'est aussi absurde que de jouer du Chopin sur clavecin, et d'enlever ainsi toutes les possibilités dynamiques (les variations d'intensité qu'on peut mettre sur les notes) qui sont fondamentales dans ses oeuvres. Pourquoi proposer cette version ? Parce qu'ils aiment le morceau et veulent le jouer ? Dans ce cas, pourquoi l'interpréter en concert comme ils le font, le filmer... suffisait juste de le faire peinard dans sa chambre. Pour montrer que le classique, c'est très laid sur guitare électrique ? Ca, on le sait depuis Malmsteen... Pour dire "on est des peut-être une bande de graisseux, mais on a de la technique, on peut reprendre du classique" ? Et après... Il y a des milliers de gamins dans les conservatoires qui savent jouer du classique... et où est l'essentiel, la musicalité ?
Non, le seul intérêt de cet exemple caricatural et des reprises metal de titres classiques, c'est de bien nous montrer à quel point l'interprétation est un art, et qu'il n'est pas donné à tout le monde. A partir d'une même oeuvre, avec les mêmes notes, on peut faire le pire (les guitaristes metal et apprentis-guitaristes sur youtube) et le meilleur, qui touche au génie par sa musicalité, sa vision de l'oeuvre, comme le font Il Giardino Armonico. Même si les 4 saisons vous sortent par les oreilles, vous ne pourrez qu'être fasciné par la qualité de leur interprétation...
Mais rassurez-vous, cette série de billets sur l'interprétation ne sera pas constituée chaque fois de reprises metal à deux balles face à de grandes versions, ce serait trop facile, mais plutôt d'interprétations très différentes qui n'en sont pas moins chacune remarquable et pertinente.