"Je m'imagine la musique comme quelque chose de très loin dans l'espace, qui existe depuis toujours et qui existera toujours, et dont nous n'entendons qu'un petit fragment." (György Ligeti)
Un des plus grands compositeurs du XXé siècle est mort il y a peu, et force est de constater que cela n’a pas touché grand monde. Mais les médias avaient mieux à faire. Ironie de l'histoire, deux des musiciens les plus " libres " et singuliers de la musique contemporaine (György Ligeti) et de la pop (Syd Barrett), disparaissent quand la planète n'a d'yeux que pour le mondial de foot. L’un quelques jours après l’ouverture, l’autre un peu avant la finale. Eux qui préféraient aux honneurs l’exploration de nouveaux territoires, qui n’aimaient rien tant que d’aller ou les autres ne vont pas… voilà qu’ils partent pour le grand vide lors de la plus grosse "fête" populaire mondiale.
L’esthétique de Ligeti - compositeur hongrois (né en Transylvanie) naturalisé autrichien - est passionnante car, dans un XX° siècle où fleurissent les écoles, où il est rassurant de pouvoir " nommer " et ranger des musiques difficiles à appréhender par l’écoute, car très déstabilisantes pour l’oreille, Ligeti fait figure d’électron libre. Sa musique n’est pas pour autant que pure originalité ; on ne crée jamais à partir de rien. Il a d’abord été influencé par le néo-folklorisme de Bartòk (normal, pour un compositeur hongrois…), a rejoint quelques temps Stockhausen et la musique électronique de Cologne, a fait quelques incursions dans le domaine sériel… mais hors de question pour lui de se laisser enfermer.
Il n’hésite pas à emprunter des éléments et procédés de courants musicaux divers et variés… mais on ne peut le ranger dans les compositeurs " post-moderne ". Car, ces éléments, Ligeti se les approprie pour les amener vers un " ailleurs " plutôt que de les marquer comme références (même s’il y a quelques exceptions).
Il partage avec l’essentiel des compositeurs du XX° une attention particulière portée au son, devenu un paramètre aussi important (voire plus…) que la mélodie, l’harmonie et le rythme. Mais il explore les possibilités du timbre sans chercher à " modéliser " systématiquement. Aux paradigmes et schémas rigides, il préfère l’expérimentation continuelle et le jeu, jeu qu’illustre son goût pour les " illusions sonores " ou l’utilisation insolite de la voix : cris, grognements, dans Aventures ou Le Grand Macabre (pas les œuvres de Ligeti que je préfère…)
Les années 60 sont cruciales pour Ligeti. Il s’émancipe de ses " maîtres " et trouve sa propre voie. On parlera de " micro-tonalité " pour évoquer son style, car il joue sur des harmonies et contrepoints de très petits intervalles (qui se regroupent souvent en clusters). Ses œuvres les plus marquantes sont sans doute celles de cette période :
1961 : Atmosphères, pour grand orchestre
1962 : Volumina, pour orgue
1962 : Aventures
1965 : Requiem
1966 : Nouvelles Aventures
1966 : Lux Æterna
1967 : Lontano, pour orchestre de cordes et de vents
1968 : Continuum, pour clavecin
1968 : 2e Quatuor à cordes
Stanley Kubrick, un des réalisateurs de cinéma les mieux inspirés pour trouver les musiques qui " transcenderont " ses chefs-d’œuvre, a employé avec génie 3 des plus réussies de Ligeti. Atmosphères et l’hypnotique œuvre vocale Lux Aeterna pour 2001, l’odyssée de l’espace, et la 2° des Musica Ricercata, pièce pour piano sombre et obsessionnelle que ne peuvent oublier ceux qui ont vu Eyes Wide Shut. Les Musica Ricercata (1953) sont une des premières grandes créations de Ligeti, elles se décomposent en 11 pièces pour piano, la première construite sur 2 notes (avec les octaves), la 2° sur 3 etc… jusqu’à la 11° comportant les 12 notes de la gamme chromatique.
La musique de Ligeti n’est pas une des plus accessibles du XX°, mais les Musica Ricercata, le Lux Aeterna et Atmosphères sont une excellente entrée en matière pour découvrir ce compositeur essentiel et fascinant
Un très bon article de "vulgarisation" :
http://www.ac-dijon.fr/pedago/music/bac2000/ligeti/BIO.HTM
Ligeti sur Wikipedia
Ligeti sur Libellus
Catalogue de toutes ses oeuvres, avec un texte de Ligeti (Pensées rhapsodiques et déséquilibrées sur la musique et sur mes œuvres en particulier) à la médiathèque de l'IRCAM.
György Ligeti : 28 mai 2003 – 12 Juin 2006