8 mai 2009
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14:03
Ne vous fiez pas au jeu de mot facile du titre, le sujet est grave et particulièrement inquiétant.
Jérome Bourreau est (enfin, était) "responsable du pôle innovation web" chez TF1. Il écrit une lettre à sa député, Françoise de Panafieu, afin de lui expliquer pourquoi il est contre cette loi. De Panafieu n'ayant pas les arguments pour lui répondre, demande de l'aide au ministère de la culture en lui transmettant ce mail. Un collaborateur d'Albanel le transmet à son tour à TF1, et TF1 le licencie sur le champ.
En aucun cas Jérome Bourreau n'a prétendu parler au nom de TF1, il n'a pas utilisé son adresse mail professionnelle mais privée, et n'a donc en rien engagé TF1 dans ce message.
TF1 expliquera plus tard qu'elle lutte depuis un moment contre le piratage, qu'elle soutient la loi Hadopi, et qu'il est donc incompatible d'être responsable du site internet du groupe et d'être anti-Hadopi. Pourtant, TF1 n'a jamais publiquement donné son soutien à la loi... par contre, elle l'a fait de manière insidieuse, avec des reportages dans ses journaux très partiaux (pour 5 députés pro-Hadopi interviewés, vous n'en trouviez qu'un contre le projet de loi).
Le licenciement d'un employé pour ses opinions politiques - opinions qu'il exprime en-dehors du cadre professionnel - et un ministère qui renvoie à une entreprise un mail privé d'un employé, ce sont des procédés dignes de dictatures, et scandaleux dans une démocratie.
Un ministre de la culture est censée maîtriser un minimum la langue, et connaître ses subtilités... et deux déclarations d'Albanel ont de quoi inquiéter :
- Elle a dit que la réaction de TF1 était "très exagérée"... si elle pensait que TF1 n'aurait pas dû avoir de réaction du tout, elle n'aurait pas employé ce terme... elle aurait dit "la réaction de TF1 est scandaleuse / déplacée / choquante / incompréhensible..." il y avait le choix dans les termes. Pourquoi "très exagérée" ? TF1 aurait dû en faire un peu moins, se contenter d'une petite mise à pied, d'une retenue sur le salaire, d'un déclassement dans la hiérarchie ? La réaction de TF1 n'est pas "très exagérée", elle n'a tout simplement pas lieu d'être. Un citoyen a le droit d'interpeller en privé son député sans que son employeur soit au courant et ne prenne la moindre sanction (à moins que le citoyen menace de faire sauter son entreprise si le député ne va pas dans son sens, ce qui n'est absolument pas le cas ici).
- Il y a peu, Albanel déclarait aussi qu'elle avait la "conviction" que cette loi ne nuirait pas aux libertés. Etrange, tout de même, de parler ici de "conviction". C'est elle qui porte la loi, qui devrait en connaître toutes les implications et les conséquences, et qui devrait savoir mieux que quiconque si cette loi nuit ou non aux libertés... Qu'elle nous dise "je vous assure / certifie qu'Hadopi ne nuira pas aux libertés individuelles", mais pas qu'elle en a juste la "conviction". Ses convictions, ce n'est pas notre problème...
Dire "j'ai la conviction que ça va marcher" plutôt que "ça va marcher", c'est signifier "rien n'est vraiment sûr, je n'engage que ma subjectivité, mais j'y crois". Pas très rassurant.
On a taxé de "parano" ceux qui parlaient des risques de flicage avec Hadopi, d'infos d'ordre privé qui pourraient remonter au gouvernement... mais quand on voit qu'au sein même du ministère de la culture, on transmet à une entreprise un mail de ses employés, mail qui aboutit à un licenciement, il y a vraiment de quoi craindre les abus du gouvernement. Albanel est extrêmement mal placée pour prétendre nous assurer qu'il n'y aura aucune dérive de ce genre, puisque cela existe dans son propre cabinet, parmi les collaborateurs qu'elle a choisi.
Pourtant, si tout cela a quelques petits arrières goûts de dictature, le problème de base reste l'incompétence. A tous les niveaux de cette triste affaire il n'y a que des incompétents... le seul qui ne le soit pas, c'est celui qui se fait virer :
- En tant que responsable du pôle innovation web de TF1, Jérome Bourreau a sûrement des arguments intéressants sur Hadopi. Problème : il s'adresse à un député qui n'y connaît pas grand chose et demande de l'aide au ministère de la culture. Il paraîtrait - ça n'étonnera personne - que son message, assez précis et pointu, est passé par de nombreux collaborateurs de la ministre, puisque personne ne savait vraiment quoi répondre.
- Transmettre ensuite le mail à TF1, c'est une faute grave. Albanel a beau "déplorer" la sanction de TF1, rien ne se serait passé si son ministère avait agi correctement. Un état qui fait dans la dénonciation d'opinions personnelles d'un salarié à son employeur, c'est très préoccupant (le mot est faible).
- Les explications de TF1 ne tiennent pas une seconde, car être contre Hadopi ne signifie en rien être favorable au téléchargement illégal. De nombreuses personnes sont opposées à cette loi parce qu'elle comporte de vrais risques d'atteintes aux libertés individuelles, parce que toute personne qui a un minimum de connaissances informatiques sait qu'on peut pirater des adresses IP. Preuve aussi qu'avant de s'engager contre Hadopi, TF1 n'a même pas pris la peine de consulter son "responsable de l'innovation web"... c'est dire si ça ne repose sur rien de très réfléchi, il y a fort à parier que leur position soit purement politique.
Une longue chaîne d'incompétence et de négligences, à l'image de cette loi et de ceux qui la défendent.
On connaissait le cliché du peuple pas toujours très au fait de la complexité géopolitique, de la nécessité de telle ou telle mesure qu'il ne comprend pas car chacun ne voit que son petit intérêt au lieu de l'intérêt général, là où les gouvernants et l'élite en ont conscience... Avec Hadopi (comme DADVSI), c'est exactement l'inverse. Des politiques, patrons de majors, grands médias, incapables de comprendre la complexité de la situation, l'absurdité ou l'obsolescence de leurs réponses face à un phénomène que des millions d'internautes saisissent bien mieux... et lorsqu'un type qui s'y connaît a le malheur d'interpeller son député sur les imperfections de la loi, il en perd son emploi.
Heureusement, il reste quelques motifs de satisfaction... comme le Parlement Européen qui a interdit la coupure d'internet à un abonné sans une décision préalable de la justice (et Hadopi n'est qu'une autorité administrative). Mais ça n'empêche pas le gouvernement de continuer à s'entêter et de considérer que cette interdiction ne s'appliquera pas en France.
A lire :
Dénoncé par Albanel, viré par TF1 (les détails de l'histoire)
Jérome Bourreau est (enfin, était) "responsable du pôle innovation web" chez TF1. Il écrit une lettre à sa député, Françoise de Panafieu, afin de lui expliquer pourquoi il est contre cette loi. De Panafieu n'ayant pas les arguments pour lui répondre, demande de l'aide au ministère de la culture en lui transmettant ce mail. Un collaborateur d'Albanel le transmet à son tour à TF1, et TF1 le licencie sur le champ.
En aucun cas Jérome Bourreau n'a prétendu parler au nom de TF1, il n'a pas utilisé son adresse mail professionnelle mais privée, et n'a donc en rien engagé TF1 dans ce message.
TF1 expliquera plus tard qu'elle lutte depuis un moment contre le piratage, qu'elle soutient la loi Hadopi, et qu'il est donc incompatible d'être responsable du site internet du groupe et d'être anti-Hadopi. Pourtant, TF1 n'a jamais publiquement donné son soutien à la loi... par contre, elle l'a fait de manière insidieuse, avec des reportages dans ses journaux très partiaux (pour 5 députés pro-Hadopi interviewés, vous n'en trouviez qu'un contre le projet de loi).
Le licenciement d'un employé pour ses opinions politiques - opinions qu'il exprime en-dehors du cadre professionnel - et un ministère qui renvoie à une entreprise un mail privé d'un employé, ce sont des procédés dignes de dictatures, et scandaleux dans une démocratie.
Un ministre de la culture est censée maîtriser un minimum la langue, et connaître ses subtilités... et deux déclarations d'Albanel ont de quoi inquiéter :
- Elle a dit que la réaction de TF1 était "très exagérée"... si elle pensait que TF1 n'aurait pas dû avoir de réaction du tout, elle n'aurait pas employé ce terme... elle aurait dit "la réaction de TF1 est scandaleuse / déplacée / choquante / incompréhensible..." il y avait le choix dans les termes. Pourquoi "très exagérée" ? TF1 aurait dû en faire un peu moins, se contenter d'une petite mise à pied, d'une retenue sur le salaire, d'un déclassement dans la hiérarchie ? La réaction de TF1 n'est pas "très exagérée", elle n'a tout simplement pas lieu d'être. Un citoyen a le droit d'interpeller en privé son député sans que son employeur soit au courant et ne prenne la moindre sanction (à moins que le citoyen menace de faire sauter son entreprise si le député ne va pas dans son sens, ce qui n'est absolument pas le cas ici).
- Il y a peu, Albanel déclarait aussi qu'elle avait la "conviction" que cette loi ne nuirait pas aux libertés. Etrange, tout de même, de parler ici de "conviction". C'est elle qui porte la loi, qui devrait en connaître toutes les implications et les conséquences, et qui devrait savoir mieux que quiconque si cette loi nuit ou non aux libertés... Qu'elle nous dise "je vous assure / certifie qu'Hadopi ne nuira pas aux libertés individuelles", mais pas qu'elle en a juste la "conviction". Ses convictions, ce n'est pas notre problème...
Dire "j'ai la conviction que ça va marcher" plutôt que "ça va marcher", c'est signifier "rien n'est vraiment sûr, je n'engage que ma subjectivité, mais j'y crois". Pas très rassurant.
On a taxé de "parano" ceux qui parlaient des risques de flicage avec Hadopi, d'infos d'ordre privé qui pourraient remonter au gouvernement... mais quand on voit qu'au sein même du ministère de la culture, on transmet à une entreprise un mail de ses employés, mail qui aboutit à un licenciement, il y a vraiment de quoi craindre les abus du gouvernement. Albanel est extrêmement mal placée pour prétendre nous assurer qu'il n'y aura aucune dérive de ce genre, puisque cela existe dans son propre cabinet, parmi les collaborateurs qu'elle a choisi.
Pourtant, si tout cela a quelques petits arrières goûts de dictature, le problème de base reste l'incompétence. A tous les niveaux de cette triste affaire il n'y a que des incompétents... le seul qui ne le soit pas, c'est celui qui se fait virer :
- En tant que responsable du pôle innovation web de TF1, Jérome Bourreau a sûrement des arguments intéressants sur Hadopi. Problème : il s'adresse à un député qui n'y connaît pas grand chose et demande de l'aide au ministère de la culture. Il paraîtrait - ça n'étonnera personne - que son message, assez précis et pointu, est passé par de nombreux collaborateurs de la ministre, puisque personne ne savait vraiment quoi répondre.
- Transmettre ensuite le mail à TF1, c'est une faute grave. Albanel a beau "déplorer" la sanction de TF1, rien ne se serait passé si son ministère avait agi correctement. Un état qui fait dans la dénonciation d'opinions personnelles d'un salarié à son employeur, c'est très préoccupant (le mot est faible).
- Les explications de TF1 ne tiennent pas une seconde, car être contre Hadopi ne signifie en rien être favorable au téléchargement illégal. De nombreuses personnes sont opposées à cette loi parce qu'elle comporte de vrais risques d'atteintes aux libertés individuelles, parce que toute personne qui a un minimum de connaissances informatiques sait qu'on peut pirater des adresses IP. Preuve aussi qu'avant de s'engager contre Hadopi, TF1 n'a même pas pris la peine de consulter son "responsable de l'innovation web"... c'est dire si ça ne repose sur rien de très réfléchi, il y a fort à parier que leur position soit purement politique.
Une longue chaîne d'incompétence et de négligences, à l'image de cette loi et de ceux qui la défendent.
On connaissait le cliché du peuple pas toujours très au fait de la complexité géopolitique, de la nécessité de telle ou telle mesure qu'il ne comprend pas car chacun ne voit que son petit intérêt au lieu de l'intérêt général, là où les gouvernants et l'élite en ont conscience... Avec Hadopi (comme DADVSI), c'est exactement l'inverse. Des politiques, patrons de majors, grands médias, incapables de comprendre la complexité de la situation, l'absurdité ou l'obsolescence de leurs réponses face à un phénomène que des millions d'internautes saisissent bien mieux... et lorsqu'un type qui s'y connaît a le malheur d'interpeller son député sur les imperfections de la loi, il en perd son emploi.
Heureusement, il reste quelques motifs de satisfaction... comme le Parlement Européen qui a interdit la coupure d'internet à un abonné sans une décision préalable de la justice (et Hadopi n'est qu'une autorité administrative). Mais ça n'empêche pas le gouvernement de continuer à s'entêter et de considérer que cette interdiction ne s'appliquera pas en France.
A lire :
Dénoncé par Albanel, viré par TF1 (les détails de l'histoire)