09/05/2004 - 4AD *****
Un chef-d’œuvre. Le genre de disques qui vous oblige à faire une chronique ridicule. Soit parce qu’on tente de retranscrire l’incroyable fascination qu’il provoque, son exceptionnelle puissance expressive – ce qui entraîne une débauche de superlatifs pompeux et boursouflés. Soit parce qu’on essaie d’être modéré, de ne pas se laisser emporter, ce qui crée un décalage absurde entre le génie de l’œuvre et la platitude du commentaire... comme si un type, ayant enfin un rendez-vous avec la fille de ses rêves, celle dont le moindre geste le charme et l’ensorcèle au plus haut point, n’arrivait qu’à lui parler… des fonctionnalités de son téléphone portable.
Parler d’un disque qu’on adore, c’est toujours un peu comme déclarer sa flamme. Ne pas être trop expansif, ne pas gueuler " Je t’aimeuh ! " ou " Que je t’aimeuh ! " comme les 2 autres pénibles lourdauds, sans non plus faire preuve de trop de pudeur ou de retenue.
Pourtant, j’admets qu’il est possible de ne pas aimer ce disque. Il est tellement sombre, expérimental, fou, la voix de Scott Walker est si particulière… possible de ne pas l’aimer, mais impossible d’y être insensible, de ne pas remarquer ses qualités extraordinaires et de ne pas s’incliner devant un tel génie. Le mot est lancé. Mot que j’ai toujours du mal à employer pour le rock ou la pop, difficile de désigner par le même terme un groupe de rock et les indiscutables génies que sont De Vinci, Michel-Ange, Shakespeare, Bach, Mozart, Beethoven etc… Mais Scott Walker a droit à une dérogation. Un album aussi intelligent, inventif et saisissant… Quand on passe les ¾ de son temps dans la musique, qu’on entend des tas de bons, très bons et d’excellents albums et qu’on se retrouve assommé par un OVNI qui vous fait dire toutes les deux secondes " hallucinant ! ", on n’a plus le moindre scrupule à utiliser les qualificatifs les plus élevés. Et à se prosterner religieusement… tant pis pour la retenue…
Tous les titres sont exceptionnels. Pas des pop-songs de 3-4 mn avec 1 ou 2 idées, mais des morceaux riches, denses, intenses, captivants et complexes, dépassant les 6 mn pour la plupart et allant jusqu’à 10 et 12 mn. Scott Walker déborde de créativité. A un point que c’en est insultant pour les tacherons, les groupes honnêtes, et même les très bons. Orchestrations, harmonies, chant, rythme, structures, ambiances… il est hors du commun à tous les niveaux.
Scott Walker avait déjà frappé un grand coup avec le génial Tilt (son précédent album, sorti il y a plus de 10 ans), il récidive avec un album encore plus abouti. Tilt n’était donc pas indépassable. Mais ce ne sont pas ses seules réussites. Je recommande chaudement, pour découvrir sa première période, moins expérimentale et néanmoins remarquable, l’excellent best-of 1967-1970 truffé de perles pops inoubliables.
En conclusion… The Drift est déjà le disque de l’année… voire du siècle si la concurrence ne se démène pas sérieusement.
Clip de Jesse sur le minisite consacré à The Drift (allez sur video, en bas de la page).
Article consacré à Scott Walker - plus particulièrement à l'album Climate of Hunter - sur l'excellent blog Chants éthérés. Vous y trouverez aussi un lien vers des retranscriptions (textes + accords) de bon nombre de ses meilleurs titres.
Longue interview (en anglais) accordée à Wire, ici.
L'album en écoute intégrale sur deezer.
Scott Walker – The Drift
- Cossacks Are
- Clara
- Jesse
- Joson and Jones
- Cue
- Audience
- Buzzers
- Psoriatic
- The Escape
- A lover loves