10 janvier 2009
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2008 - Ici d'ailleurs
L'excellente chronique du nouveau Matt Elliott publiée par Thom m'a fait dire qu'il n'était pas la peine que j'en rajoute... mais voilà, c'est tout de même Matt Elliott, un de mes artistes favoris, impossible de ne pas dire un mot de son nouvel album. D'autant plus que j'ai fait la chronique des deux précédents (Drinking Songs et Failing Songs), je n'allais pas laisser tomber le dernier de la "trilogie des Songs".
Pour en savoir plus sur ce magnifique disque, n'hésitez pas à aller lire Thom, je vais me contenter de répondre à cette question que personne ne semble se poser (ça, c'est de l'accroche)... quelle est l'esthétique de Matt Elliott, et en quoi est-elle pertinente...
Il existe 3 types d'artistes... ceux qui se contentent de s'inscrire dans un style, ceux qui apportent quelque chose de nouveau à ce style, et ceux qui, comme Matt Elliott, s'en inventent un. Bien sûr, on peut parfaitement s'inscrire dans un style en ayant une "signature" tout à fait personnelle... tout comme on peut inventer un style sans aucun intérêt. Suffit pas de faire du neuf en mélangeant divers vieux éléments pour créer une musique qui mérite l'attention. Encore faut-il que ce style soit convaincant et pertinent. Sinon, ce serait trop facile... il est à la portée de n'importe quel crétin de créer du neuf. Par exemple, je prends une grille de blues, je la joue au clavecin, je greffe par dessus des mélodies pop avec quelques solos de cornemuses et j'accompagne tout ça d'une rythmique techno... certes, ce sera "original"... mais quel intérêt ? Tout ce que ce mélange risque de donner, c'est une musique totalement grotesque.
Matt Elliott, lui, a véritablement réussi à créer un style très personnel et cohérent, fait à base d'influences tziganes, voix traînantes et fantômatiques, atmosphères comateuses, belles mélodies, gravité et profonde mélancolie. En quoi ce style serait-il alors "pertinent" ?
La différence entre un artiste et un artisan, c'est que l'artiste ne se contente pas de faire du "bel ouvrage", il a cette sensibilité particulière qui lui permet - consciemment ou pas - de nous "dire" quelque chose du monde, quelque chose qu'on ne voit généralement pas, où que l'on tente de masquer. Une des grandes fonctions de l'art, c'est de révéler ce que la société dans laquelle il s'inscrit cherche à cacher. Non pas à la manière "brute" d'un journaliste qui balance un scoop et relate des faits, mais en traduisant cela sous une autre forme, une forme "artistique".
L'auditeur distrait, après quelques écoutes des albums de Matt Elliott pourrait se dire "mouais, c'est du folk/tzigane, c'est joli, émouvant, certes, mais ce n'est en rien moderne..." Au contraire.
Nous vivons dans une époque frénétique, où tout va très vite, où le web a transformé les habitudes de communication et de consommation, où tout le monde avec une simple connection dispose d'un accès libre, immédiat et considérable à la culture, au divertissement, à la connaissance et peut s'exprimer assez facilement. Mais les tubes pop/r'n'b' hédonistes et entraînants aux prods luxuriantes matraqués par les radios ne sont que de l'évasion... ils ne dévoilent pas la réalité, ils contribuent à la voiler par ce nouvel "opium du peuple". Car sous cette apparente frénésie, cette abondance, le monde actuel est terriblement pesant. Perte de la foi en l'avenir, perte des repères, des valeurs, des croyances (ou renfermement dans l'esprit "communautaire"), désastre écologique, cynisme, fébrilité, traumatisme du 11 septembre... d'une certaine manière, cette pesanteur moderne, Matt Elliott la sublime.
Ces voix fantômatiques, celles d'une génération dont l'existence est de plus en plus virtuelle, ces morceaux qui commencent par de belles mélodies mélancoliques et se terminent sur des guitares rêches, hypnotiques et chaotiques (que l'on ne retrouvait que peu dans les deux albums précédents et qui durcissent le ton de la musique de Matt Elliott dans Howling Songs), comme si l'on ne pouvait faire autrement que de s'enfoncer toujours plus... Bien sûr, il ne suffit pas de faire une musique "pesante" pour qu'elle soit intéressante, moderne et pertinente d'un point de vue esthétique... après, il y a le style et tout le travail de l'artiste... qui arrive à faire passer avec élégance et subtilité toute cette lourdeur. Il est à la portée de n'importe quel musicien de faire de la musique "sombre et lourde", mais il est beaucoup plus complexe - et artistique - d'être capable de véhiculer sans compromissions cette noirceur et cette gravité avec élégance, finesse et beauté. Il y a chez Matt Elliott, une parfaite alchimie, la beauté mélodique ne vient pas amoindrir la saisissante noirceur de l'ensemble, c'est la noirceur qui en devient encore plus sensible et fascinante...
Mettre la pesanteur en musique, c'est comme filmer l'ennui... tout le monde peut le faire. Mais ce qui différencie les vrais artistes des autres, c'est qu'ils sont capables de filmer l'ennui sans être ennuyeux, et, comme le fait ici Matt Elliott, de mettre la pesanteur en musique sans être lourd.
Trois morceaux en extrait :
L'album en écoute intégrale sur Jiwa
Matt Elliott - Howling Songs
La chronique de Thom
Mes précédents billets sur Matt Elliott :
Failing Songs
Drinking Songs
Howling Songs dans les meilleurs albums 2008
L'excellente chronique du nouveau Matt Elliott publiée par Thom m'a fait dire qu'il n'était pas la peine que j'en rajoute... mais voilà, c'est tout de même Matt Elliott, un de mes artistes favoris, impossible de ne pas dire un mot de son nouvel album. D'autant plus que j'ai fait la chronique des deux précédents (Drinking Songs et Failing Songs), je n'allais pas laisser tomber le dernier de la "trilogie des Songs".
Pour en savoir plus sur ce magnifique disque, n'hésitez pas à aller lire Thom, je vais me contenter de répondre à cette question que personne ne semble se poser (ça, c'est de l'accroche)... quelle est l'esthétique de Matt Elliott, et en quoi est-elle pertinente...
Il existe 3 types d'artistes... ceux qui se contentent de s'inscrire dans un style, ceux qui apportent quelque chose de nouveau à ce style, et ceux qui, comme Matt Elliott, s'en inventent un. Bien sûr, on peut parfaitement s'inscrire dans un style en ayant une "signature" tout à fait personnelle... tout comme on peut inventer un style sans aucun intérêt. Suffit pas de faire du neuf en mélangeant divers vieux éléments pour créer une musique qui mérite l'attention. Encore faut-il que ce style soit convaincant et pertinent. Sinon, ce serait trop facile... il est à la portée de n'importe quel crétin de créer du neuf. Par exemple, je prends une grille de blues, je la joue au clavecin, je greffe par dessus des mélodies pop avec quelques solos de cornemuses et j'accompagne tout ça d'une rythmique techno... certes, ce sera "original"... mais quel intérêt ? Tout ce que ce mélange risque de donner, c'est une musique totalement grotesque.
Matt Elliott, lui, a véritablement réussi à créer un style très personnel et cohérent, fait à base d'influences tziganes, voix traînantes et fantômatiques, atmosphères comateuses, belles mélodies, gravité et profonde mélancolie. En quoi ce style serait-il alors "pertinent" ?
La différence entre un artiste et un artisan, c'est que l'artiste ne se contente pas de faire du "bel ouvrage", il a cette sensibilité particulière qui lui permet - consciemment ou pas - de nous "dire" quelque chose du monde, quelque chose qu'on ne voit généralement pas, où que l'on tente de masquer. Une des grandes fonctions de l'art, c'est de révéler ce que la société dans laquelle il s'inscrit cherche à cacher. Non pas à la manière "brute" d'un journaliste qui balance un scoop et relate des faits, mais en traduisant cela sous une autre forme, une forme "artistique".
L'auditeur distrait, après quelques écoutes des albums de Matt Elliott pourrait se dire "mouais, c'est du folk/tzigane, c'est joli, émouvant, certes, mais ce n'est en rien moderne..." Au contraire.
Nous vivons dans une époque frénétique, où tout va très vite, où le web a transformé les habitudes de communication et de consommation, où tout le monde avec une simple connection dispose d'un accès libre, immédiat et considérable à la culture, au divertissement, à la connaissance et peut s'exprimer assez facilement. Mais les tubes pop/r'n'b' hédonistes et entraînants aux prods luxuriantes matraqués par les radios ne sont que de l'évasion... ils ne dévoilent pas la réalité, ils contribuent à la voiler par ce nouvel "opium du peuple". Car sous cette apparente frénésie, cette abondance, le monde actuel est terriblement pesant. Perte de la foi en l'avenir, perte des repères, des valeurs, des croyances (ou renfermement dans l'esprit "communautaire"), désastre écologique, cynisme, fébrilité, traumatisme du 11 septembre... d'une certaine manière, cette pesanteur moderne, Matt Elliott la sublime.
Ces voix fantômatiques, celles d'une génération dont l'existence est de plus en plus virtuelle, ces morceaux qui commencent par de belles mélodies mélancoliques et se terminent sur des guitares rêches, hypnotiques et chaotiques (que l'on ne retrouvait que peu dans les deux albums précédents et qui durcissent le ton de la musique de Matt Elliott dans Howling Songs), comme si l'on ne pouvait faire autrement que de s'enfoncer toujours plus... Bien sûr, il ne suffit pas de faire une musique "pesante" pour qu'elle soit intéressante, moderne et pertinente d'un point de vue esthétique... après, il y a le style et tout le travail de l'artiste... qui arrive à faire passer avec élégance et subtilité toute cette lourdeur. Il est à la portée de n'importe quel musicien de faire de la musique "sombre et lourde", mais il est beaucoup plus complexe - et artistique - d'être capable de véhiculer sans compromissions cette noirceur et cette gravité avec élégance, finesse et beauté. Il y a chez Matt Elliott, une parfaite alchimie, la beauté mélodique ne vient pas amoindrir la saisissante noirceur de l'ensemble, c'est la noirceur qui en devient encore plus sensible et fascinante...
Mettre la pesanteur en musique, c'est comme filmer l'ennui... tout le monde peut le faire. Mais ce qui différencie les vrais artistes des autres, c'est qu'ils sont capables de filmer l'ennui sans être ennuyeux, et, comme le fait ici Matt Elliott, de mettre la pesanteur en musique sans être lourd.
Trois morceaux en extrait :
L'album en écoute intégrale sur Jiwa
Matt Elliott - Howling Songs
1/ The Kübler-Ross Model (11:32)
2/ Something About Ghosts (6:54)
3/ How Much In Blood ? (1:47)
4/ A Broken Flamenco (5:17)
5/ Berlin & Bisenthal (3:00)
6/ I Name This Ship Tragedy, Bless Her & All Who Sail With Her (6:32)
7/ The Howling Songs (4:43)
8/ Songs For A Failed Relationship (2:17)
9/ Bomb The Stock Exchange (4:22)
Matt Elliott sur Myspace
La chronique de Thom
Mes précédents billets sur Matt Elliott :
Failing Songs
Drinking Songs
Howling Songs dans les meilleurs albums 2008