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13 avril 2006 4 13 /04 /avril /2006 18:13

Jazz                           1959 -  Atlantic *****

 

Blues and Roots… un titre approprié et trompeur.

Approprié, parce que le jazz est ici très proche d’une de ses principales racines, le blues. Par la rudesse, la tension, la rythmique très affirmée et " lourde ". Lourdeur… un terme qui colle bien à l’album. Mais cette lourdeur-là n’a rien de pataud, bourrin et bovin. C’est du lourd, pas du lourdingue. Un jazz très physique, qui se joue avec les " tripes ", dans l’urgence, avec un gros son, de l’intensité et de la hargne, des solistes qui ne font pas semblant de souffler. C’est du hard-bop pur et dur, à l’opposé de l’autre courant de l’époque, le jazz cool atmosphérique et feutré.

 

Trompeur... parce qu’on est loin de la simplicité et du dénuement du blues. La musique de Mingus est d’une grande richesse et d’une grande complexité, notamment par ses structures. Ses ruptures, changements d’atmosphères sont d’ailleurs une des raisons qui font de Mingus un des jazzmen les plus accessibles. Cela peut sembler paradoxal… mais lorsque l’on n’est pas " initié " au jazz, on peut avoir un peu de mal avec des morceaux où se répète la même grille et où s’enchaînent de longs solos. Chez Mingus, la succession fréquente de passages divers et variés fait qu’il est difficile de s’ennuyer (à moins d’être totalement insensible au jazz). Mingus a étudié le classique, c’est peut-être en partie de là que lui vient ce goût pour le travail sur la forme.

En caricaturant quelque peu, on pourrait avancer que l’esthétique de Mingus est au jazz ce que celle de Led Zeppelin est au rock. Un retour au blues pour accentuer la densité et l’intensité, des riffs lourds et accrocheurs, une ouverture d’esprit et une riche culture musicale qui expliquent les emprunts à des musiques très diverses (du classique aux musiques " ethniques "), des morceaux composés de plusieurs parties distinctes. Si le jazz de Mingus ne ressemble pas vraiment au rock de Led Zeppelin, il y a tout de même de nombreux points de rencontres.

 

Blues and Roots, c’est l’artillerie lourde du jazz. Mais les artificiers y sont des experts, des virtuoses qui visent avec la plus grande précision. Mingus sait donner l’impression d’un bordel sauvage et débridé, dans le style du New-Orleans du début du XXè, mais il ne faut pas s’y tromper, son bordel est remarquablement organisé (peu importe que l’on dise que les sessions ont été " anarchiques ", le résultat est que tout cela fonctionne à merveille et que les musiciens maîtrisent leur partie à la perfection).

 

Tous les titres sont excellents, Wednesday Night Prayer Meeting et E’s Flat Ah’s flat too sont puissants et catharsistiques, Tensions est plus sombre, voire légèrement inquiétant (avec son thème qui rebondit comme une balle de ping-pong), Cryin’ blues… comme son nom l’indique, My Jelly Roll Soul (hommage à Jelly Roll Morton) qui se distingue des autres par sa joliesse. Le meilleur pour la fin, le génial Moanin’, que j’ai écouté des centaines de fois et qui me fascine toujours autant. Si je ne devais emporter qu’un seul morceau de jazz sur une île déserte…

 

L’album a été enregistré en février 1959, à New-York dans les studios d’Atlantic, avec la formation suivante :

Charles Mingus : contrebasse

Jackie McLean et John Handy : sax alto

Booker Ervin : sax tenor

Pepper Adams : sax bariton

Jimmy Knepper et Willie Dennis : trombones

Horace Parlan : piano (Mal Waldron au piano sur E’s flat…)

Dannie Richmond : batterie

 

1. Wednesday Night Prayer Meeting

2. Cryin’ blues

3. Moanin’

4. Tensions

5. My Jelly Roll Soul

6. E’s Flat Ah’s flat too

Chroniques de deux autres albums de Mingus 

 

 

 

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commentaires

G
Je serais moins sévère que toi sur les disques ECM. Certes, ce n'est pas du jazz charnel, il n'y a pas le swing et la transpiration, on peut aussi les trouver parfois soporifiques... mais certains sont vraiment très bons. Le problème est peut-être de les classer dans le "jazz", car si on les écoute comme on écouterait un Mingus ou un Coltrane... ce serait un peu comme du Debussy après Beethoven-pour quelqu'un de plus naturellement sensible au style de Beethoven. Il pourrait se dire : je ne retrouve pas l'énergie, le souffle, le rythme, la puissance, le sens mélodique chez Debussy. Mais on ne va pas chercher chez Debussy ce qu'on cherche chez Beethoven.
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C
J'aime bien les passages sexe de "Moins qu'un Chien" ! Trés cru, et pas mal d'humour !<br /> Par contre, j'ai toujours pensé que Mingus passait bien aux oreilles de non amateurs de jazz. <br /> Il est clair cependant que Mingus n'est pas vraiment "éthéré"... Bons conseils que tu donnes à kfigaro, même si ces disques ECM n'ont pas d'odeur...
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G
Tu fais bien de parler de "Moins qu'un Chien", excellente autobiographie qui se lit, d'après mes souvenirs, comme un bon roman américain. A conseiller vivement !<br /> <br />
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E
il tue ton article, et l'album tout autant. Un de mes préférés de Mingus, même si je préfère The Clown (Haitian Fight Song merde). C'est vrai que Mingus, si on n'est pas initié au "jazz", ça peut sembler hermétique, d'autant que la forme qu'il utilise lui est propre. Je conseille une écoute au casque pour bien se prendre ses compositions et le dialogue entre les instruments. Sinon en ce moment, je lis son auto-bio "Moins qu'un Chien", et ça m'aide beaucoup à mieux comprendre sa musique.<br /> See Ya !
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G
Très juste ce que tu dis sur l'admiration de Mingus pour Ellington. D'ailleurs Ellington a lui aussi pas mal étudié la musique classique. <br /> <br /> Mingus a joué avec son modèle sur l'album "Money Jungle", que j'aimais beaucoup mais ne l'ai plus écouté depuis un moment. Un trio d'anthologie pour cet album : Ellington au piano, Mingus à la contrebasse, et Max Roach à la batterie...
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P
merci pour cette belle chronique GT... je dirais que ce goût pour l'orchestration lui vient notamment de Duke Ellington pour qui il a toujours eu une grande admiration. Il a même joué dans son big band jusqu'à que le caractère de notre contrebassiste lui joue des tours ainsi qu'au nez d'un de ses "collègues" ...La filiation est particulièrement évidente dans l'album Mingus Mingus Mingus Mingus Mingus. En tout cas merci pour le lien et à bientôt.
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K
merci beaucoup pour toutes ces précieuses infos !! c'est super sympa, j'ai noté tous ça ;)<br /> <br /> dans ce que je connais déjà, Jarrett, j'avais bien aimé (mais je connais mal) et le "Kind of blue" de Davis également ;)<br /> <br /> A +
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G
Quand on est hermétique au jazz... pas la peine de trop se forcer non plus, on ne peut tout aimer. <br /> <br /> Par contre, je pense qu'il y a une branche du jazz qui devrait correspondre à tes goûts, ce sont les albums du label ECM, par exemple ceux de Keith Jarrett (notamment le fameux Köln Concert, Jarrett est souvent entre le jazz et le classique, il a même enregistré une intégrale des sonates de Mozart !), ou de Jan Garbarek. C'est un jazz très atmosphérique et plutôt mélancolique.<br /> <br /> Dans le même genre (et sur d'autres labels), il y a les très beaux albums électro-jazz de Nils Petter Molvaer, et les très réussis Strange place for snow de E.S.T. ou Elegiac Cycle de Brad Mehldau.<br /> <br /> Sinon, en un peu moins "éthéré", il y a aussi l'album phare du jazz-cool, le mythique "Kind of blue" de Miles Davis.<br /> <br /> Entre Keith Jarrett, Garbarek, Molvaer, E.S.T, Miles Davis et Mehldau, si aucun ne te plait, c'est que tu es définitivement irréductible au jazz ! <br /> <br /> A plus...
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K
totalement hermétique au jazz j'avoue, j'écoute en ce moment même le titre "For Harry Carney" de Mingus (je n'ai pas trouvé l'album dont tu parles), j'aime bien le début du morceau, plus "structuré" comme tu dis, mais, ça reste assez difficile pour moi... :? j'ai du trop écouter de musique classique je pense... ;)<br /> <br /> A +
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