28 octobre 2008
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24 (24 heures chrono)
Série américaine de Joel Surnow et Robert Cochran 2001
A quelques jours de la très probable élection d'un noir à la présidence des Etats-Unis, difficile de ne pas penser avec ironie aux gauchistes rigides et chafouins qui pestaient contre 24. La considérer comme une série de droite faisant l'apologie de la torture, fallait ne pas l'avoir réellement vu, ou la regarder avec des oeillères idéologiques. Sans aller jusqu'à dire que 24 aura permis l'élection d'Obama, il est indéniable que la série a rendu crédible - et souhaitable - dans l'inconscient de nombreuses personnes l'élection d'un noir à la présidence.
Mais évacuons en premier lieu les critiques stupides sur la présupposée "apologie de la torture" dans 24.
Le principe - novateur et génial - de la série est que tout se déroule en temps réel. 24 heures pour déjouer un complot terroriste... une série haletante, d'un suspense hallucinant... mais si tout devait y être fait dans les règles, on s'ennuierait ferme : un premier terroriste interpellé, un interrogatoire conventionnel qui ne le ferait pas craquer, le temps de lui trouver un avocat, de respecter les procédures, s'occuper de la paperasse, d'organiser un procès... tout serait fini, et le spectateur aurait décroché dès le deuxième épisode. Les interrogatoires musclés et quelques scènes de torture sont indispensables pour le bon fonctionnement de la série. Est-ce que ce dispositif légitime la torture ? Non. Ce n'est qu'une convention. Tout comme, dans un polar, les poursuites spectaculaires en bagnole. Pour arrêter un type impliqué dans un braquage, trafic de drogue, ou qui détient juste quelques informations, les flics enchaînent infractions sur infractions, roulent à toute allure sur les trottoirs, prennent les rues en contresens, tirent sans sembler se soucier des balles perdues, mettent la vie de centaines de personnes en danger... est-ce que ces films légitiment un comportement irresponsable et quasi-criminel des flics ? Non, bien sûr, ce ne sont que des procédés fictionnels qui permettent de faire monter la tension par des scènes spectaculaires. On a beau avoir été soumis des centaines de fois à ce type de scène en prenant fait et cause pour le héros, impossible d'imaginer que l'on puisse tolérer que la police, dans le réel, fasse de même.
Si un agent secret, dans une fiction, ne peut plus soutirer des informations sans enfreindre la loi et sans violence... c'est la mort de la fiction...
Contrairement à ce que pensent certains qui ne l'ont sans doute jamais vraiment regardé, 24 n'est absolument pas une série de droite qui ferait le jeu des républicains et défendrait les valeurs de la société WASP (White Anglo-Saxon Protestant). Les préjugés sur 24 sont nombreux, à la hauteur de l'impact de la série, des préjugés idéologiques qui ne tiennent pas la route une seconde.
Dès la première saison, un candidat noir qui devient président, ce n'est pas anodin ou anecdotique, mais "politique". Un gros risque scénaristique, car le président est un personnage central de la série. Il est constamment en communication avec la cellule anti-terroriste, une bonne partie de l'action se déroule dans les coulisses du pouvoir, il est omniprésent et il fallait un président vraiment "crédible". D'autant plus que sa couleur n'est pas un événement en soi... le président est noir, et tout le monde dans la série trouve ça parfaitement naturel.
Dans les 6 saisons de 24, on a eu droit à 4 présidents : deux noirs, deux blancs :
Le premier, David Palmer, est le plus important. Celui qui a tenu le plus longtemps en place (3 saisons), et son ombre continue à planer dans les quelques saisons suivantes, on ne cesse de le regretter (Jack Bauer le premier). Les suivants font pâle figure à côté de lui. C'était un président modèle, rassurant, sage, intelligent, juste, efficace... auquel Obama fait inévitablement penser : élégant, posé, modéré, instruit, diplomate, charismatique... pour les accros à 24, Obama, c'est le retour de David Palmer.
Le deuxième, blanc... à peine le temps de passer qu'il est victime d'un attentat et se fait remplacer...
Le troisième, blanc, est le pire. Un mélange de Nixon et Bush : calculateur, lâche, traître, prêt à s'associer avec des terroristes, tolérer des attentats pour justifier des guerres et s'emparer de ressources naturelles de pays qui n'ont rien demandé...
Le dernier, Wayne Palmer, est le frère de David. Modeste, il ne cesse de penser que son frère aurait fait mieux et que lui n'est pas à la hauteur... mais s'en tire pas si mal, et suscite plutôt la sympathie et la confiance. Le vice-président qui lui succèdera lorsqu'il sera blessé... est roublard, manipulateur, inquiétant... un blanc, encore une fois.
Dans l'univers paranoïaque de 24, tous les politiques sont susceptibles d'être corrompus, et les seuls vraiment fiables, honnêtes et sympathiques ont été les deux présidents noirs. Les deux seuls qui ont un lien affectif et d'estime réciproque avec le héros (et donc le spectateur). Les deux seuls qui avaient une véritable "carrure présidentielle" (surtout David Palmer).
Est-ce suffisant pour faire élire Obama ? Sûrement pas... mais ça l'est pour ancrer profondément dans l'esprit et l'inconscient de millions d'américains une image positive, crédible et naturelle d'un président noir. Ce n'est pas un simple film de deux heures, mais une série qui s'est étalée sur de nombreuses années, des centaines d'heures (ou presque) à suivre un président noir et à le regretter dans les dernières saisons où l'on fait fréquemment référence à lui.
Dennis Haysbert, l'acteur interprétant le rôle du président Palmer est d'ailleurs convaincu que son personnage a aidé Obama (CNN).
Si l'appartenance des différents présidents à un parti n'est jamais affichée, il apparaît assez clairement que David Palmer est plus démocrate que républicain (il n'était pas évident quand la série a été conçue d'imaginer un président noir, ça l'était encore moins d'imaginer un président noir républicain). Une sorte d'anti-Bush, dans le caractère (comme Obama), mais aussi la politique. Il n'y a pas d'axe du mal et d'axe du bien dans 24, pas de gentils américains d'un côté et de méchants terroristes islamistes de l'autre. David Palmer (comme son frère, plus tard) lutte contre les va-t-en-guerre qui le pousse à des représailles rapides après un attentat... il compte sur Jack Bauer pour dénouer la situation, trouver les vrais coupables, et refuse de se soumettre aux pressions l'incitant à en profiter pour attaquer un pays ennemi (comment ne pas penser à Obama, un des rares sénateurs ayant voté contre l'envoi de troupes en Irak). La guerre contre le terrorisme, dans 24, ne consiste pas à envahir le moindre pays susceptible d'accointances avec des réseaux terroristes, de démanteler des groupuscules d'illuminés... elle est surtout une guerre interne, les pires ennemis étant des politiciens corrompus et des industriels véreux. Non pas des politiciens gauchistes "traîtres", mais plutôt de parfaits capitalistes pro-américains prêts à déclencher des conflits pour les intérêts américains. En fin de compte, les ennemis sont plus souvent des Bush que des Saddam et autres Ben Laden.
Un des autres grands préjugés chez ceux qui n'ont que vaguement entendu parler de 24, c'est de la considérer comme une grosse série d'action spectaculaire avec un "super-héros" exemplaire.
Bien sûr, c'est une série bourrée d'action... mais aucune série d'action n'a jamais accordée une telle place à la politique, aux intrigues dans les coulisses du pouvoir. Une série véritablement complexe, adulte, peu manichéenne... avec des personnages assez décalés et réalistes. C'est une des constantes dans la série, les alliés de Jack Bauer à l'agence anti-terroriste sont loin de ressembler aux héros des Experts. Pas des mannequins cool et sexy - sûr que c'est hyper-crédible, des équipes de la police scientifique qui ont l'impression de sortir d'une pub pour l'Oréal - mais des physiques assez particuliers (Chloé, Edgar, Lynn McGill) et des personnages peu sociables, singuliers... à côté de Chloé (la plus étonnante), Edgar et Lynn, il y a eu Tony, Morris O'Brian, Mike Doyle... et Jack Bauer lui-même. Qui est une sorte d'anti-James Bond (enfin, le James Bond d'avant Daniel Craig, avant que l'influence justement de 24 ne rende has-been le personnage et l'oblige à se moderniser). Nerveux, tourmenté, limite asocial... et quasi-suicidaire. Hanté par son passé et l'événement tragique qui conclut la première saison, Bauer n'est pas un héros patriotique, solaire, plein de grands idéaux... il est blasé, parano (et même junkie dans une saison), c'est souvent plus pour David Palmer qu'il accepte de revenir aux affaires que par "amour de son pays". On en vient même à se demander s'il n'est pas finalement motivé par une forme d'instinct masochiste ou suicidaire tant, à chaque fois que plusieurs options s'offrent à lui, il se jette sur la plus risquée, dangereuse, et douloureuse. Néanmoins, il reste bien sûr le héros de la série et sauveur de l'Amérique (de "Bauer Jack" à Barack... il n'y a pas grand chose...).
Celui qui incarne le héros américain de ce début de XXI° siècle n'est pas un américain pur souche bien comme il faut... Kiefer Sutherland aime l'alcool, trop sans doute (conduites en état d'ivresse, qui lui ont valu 48 heures de prison dernièrement) c'est un grand collectionneur de guitares (surtout la mythique Gibson Les Paul), il a eu un grand choc, à 12 ans, en découvrant Led Zeppelin et, fasciné par Jimmy Page, s'est mis à la guitare... il adore aussi les Beatles (particulièrement l'album blanc) et AC/DC (interview de Sutherland sur le site de Gibson, l'illustre marque ayant même créé un modèle en collaboration avec Kiefer Sutherland, la Gibson KS-336). Sutherland est aussi un membre actif du NDP, le parti démocrate canadien (New Democratic Party), plus à gauche que le parti démocrate américain... bref, celui qui incarne le grand héros américain de cette décennie est un canadien rock'n'roll de gauche (Sutherland n'est pas seulement l'acteur principal de 24, il en est aussi producteur).
24 est diffusé par la Fox, chaîne ultra-républicaine... qui semble aimer se tirer des balles dans le pied, puisqu'elle diffuse deux des séries américaines les plus subversives, 24 et les Simpson. Subversives, car il ne s'agit pas de séries plus ou moins trash réservées à un public averti, ou idéologiquement très marquées à gauche et n'attirant que des... gens de gauche. Car la subversion la plus efficace, ce n'est pas celle d'artistes confidentiels qui en font des tonnes dans la provoc' et ne s'adressent qu'à un public venu pour ça... mais plutôt celle capable de toucher une vaste audience. Les Simpson et 24 sont des chevaux de Troie dans le bastion républicain qu'est la Fox. Sous ses dehors de dessin animé humoristique, les Simpson ridiculise les valeurs de la chaîne, pendant que 24 aura fait le jeu des démocrates durant cette décennie, installant dans les esprits l'image positive d'un président noir et prenant un parti opposé à la politique de Bush. Il faut imaginer le républicain moyen, jubilant à l'idée de découvrir sur sa chaîne favorite une grande série spectaculaire où il est question de "botter le cul des terroristes"....
Premier choc : le président est noir... et remarquable... et personne ne trouve ça bizarre.
Deuxième choc : difficile de ne pas lire une sévère critique de l'administration Bush et des guerres en Irak et Afghanistan quand on lui montre d'un côté, les "bons" (Palmer et Bauer), qui font tout pour éviter la guerre et vont débusquer les coupables chez les industriels et politiciens américains plus que dans les pays arabes ; et de l'autre, les "mauvais", des hommes de pouvoir américain prêts à partir en guerre pour les intérêts du pays.
Troisième choc : Il y a quelques terroristes islamistes, certes... mais pas tant que ça pour une série sur le terrorisme post 9/11. De plus, les arabes sont souvent des victimes, certains étant injustement suspectés et maltraités par des racistes avant que l'on ne découvre le vrai coupable dans une famille blanche américaine standard.
Quatrième choc : Enfin un président blanc, mélange de Nixon et Bush... il est lâche, traître, calculateur, dépassé par les événements...
On attend que TF1 (qui pourtant, n'a jamais déclarée officiellement être partisane) diffuse une série aussi ambitieuse et critique sur la politique du gouvernement de droite en place, avec pour président de la France un noir ou maghrébin charismatique et compétent (sans que cela ne soit une "curiosité" mais une évidence sur laquelle on ne s'attarde pas...) On risque fort d'attendre longtemps...
Actualité oblige, je m'attarde sur la dimension visionnaire de 24 (imbattable de ce point de vue : une série sur le terrorisme conçue avant les attentats du 11 septembre, et qui a préfiguré - voire conditionné - le succès d'Obama). Mais l'essentiel reste tout de même que cette série révolutionnaire est d'une inventivité, d'une intelligence, d'une virtuosité et d'un suspense exceptionnels. Des Soprano à Californication en passant par Six Feet Under, Nip/Tuck, Lost ou The Shield, les séries américaines de cette décennie ont été particulièrement brillantes, audacieuses, adultes et fascinantes... mais, si toutes ont leurs qualités, aucune n'est à la fois aussi intense, addictive et intelligente que 24.
Série américaine de Joel Surnow et Robert Cochran 2001
A quelques jours de la très probable élection d'un noir à la présidence des Etats-Unis, difficile de ne pas penser avec ironie aux gauchistes rigides et chafouins qui pestaient contre 24. La considérer comme une série de droite faisant l'apologie de la torture, fallait ne pas l'avoir réellement vu, ou la regarder avec des oeillères idéologiques. Sans aller jusqu'à dire que 24 aura permis l'élection d'Obama, il est indéniable que la série a rendu crédible - et souhaitable - dans l'inconscient de nombreuses personnes l'élection d'un noir à la présidence.
Mais évacuons en premier lieu les critiques stupides sur la présupposée "apologie de la torture" dans 24.
Le principe - novateur et génial - de la série est que tout se déroule en temps réel. 24 heures pour déjouer un complot terroriste... une série haletante, d'un suspense hallucinant... mais si tout devait y être fait dans les règles, on s'ennuierait ferme : un premier terroriste interpellé, un interrogatoire conventionnel qui ne le ferait pas craquer, le temps de lui trouver un avocat, de respecter les procédures, s'occuper de la paperasse, d'organiser un procès... tout serait fini, et le spectateur aurait décroché dès le deuxième épisode. Les interrogatoires musclés et quelques scènes de torture sont indispensables pour le bon fonctionnement de la série. Est-ce que ce dispositif légitime la torture ? Non. Ce n'est qu'une convention. Tout comme, dans un polar, les poursuites spectaculaires en bagnole. Pour arrêter un type impliqué dans un braquage, trafic de drogue, ou qui détient juste quelques informations, les flics enchaînent infractions sur infractions, roulent à toute allure sur les trottoirs, prennent les rues en contresens, tirent sans sembler se soucier des balles perdues, mettent la vie de centaines de personnes en danger... est-ce que ces films légitiment un comportement irresponsable et quasi-criminel des flics ? Non, bien sûr, ce ne sont que des procédés fictionnels qui permettent de faire monter la tension par des scènes spectaculaires. On a beau avoir été soumis des centaines de fois à ce type de scène en prenant fait et cause pour le héros, impossible d'imaginer que l'on puisse tolérer que la police, dans le réel, fasse de même.
Si un agent secret, dans une fiction, ne peut plus soutirer des informations sans enfreindre la loi et sans violence... c'est la mort de la fiction...
Contrairement à ce que pensent certains qui ne l'ont sans doute jamais vraiment regardé, 24 n'est absolument pas une série de droite qui ferait le jeu des républicains et défendrait les valeurs de la société WASP (White Anglo-Saxon Protestant). Les préjugés sur 24 sont nombreux, à la hauteur de l'impact de la série, des préjugés idéologiques qui ne tiennent pas la route une seconde.
Dès la première saison, un candidat noir qui devient président, ce n'est pas anodin ou anecdotique, mais "politique". Un gros risque scénaristique, car le président est un personnage central de la série. Il est constamment en communication avec la cellule anti-terroriste, une bonne partie de l'action se déroule dans les coulisses du pouvoir, il est omniprésent et il fallait un président vraiment "crédible". D'autant plus que sa couleur n'est pas un événement en soi... le président est noir, et tout le monde dans la série trouve ça parfaitement naturel.
Dans les 6 saisons de 24, on a eu droit à 4 présidents : deux noirs, deux blancs :
Le premier, David Palmer, est le plus important. Celui qui a tenu le plus longtemps en place (3 saisons), et son ombre continue à planer dans les quelques saisons suivantes, on ne cesse de le regretter (Jack Bauer le premier). Les suivants font pâle figure à côté de lui. C'était un président modèle, rassurant, sage, intelligent, juste, efficace... auquel Obama fait inévitablement penser : élégant, posé, modéré, instruit, diplomate, charismatique... pour les accros à 24, Obama, c'est le retour de David Palmer.
Le deuxième, blanc... à peine le temps de passer qu'il est victime d'un attentat et se fait remplacer...
Le troisième, blanc, est le pire. Un mélange de Nixon et Bush : calculateur, lâche, traître, prêt à s'associer avec des terroristes, tolérer des attentats pour justifier des guerres et s'emparer de ressources naturelles de pays qui n'ont rien demandé...
Le dernier, Wayne Palmer, est le frère de David. Modeste, il ne cesse de penser que son frère aurait fait mieux et que lui n'est pas à la hauteur... mais s'en tire pas si mal, et suscite plutôt la sympathie et la confiance. Le vice-président qui lui succèdera lorsqu'il sera blessé... est roublard, manipulateur, inquiétant... un blanc, encore une fois.
Dans l'univers paranoïaque de 24, tous les politiques sont susceptibles d'être corrompus, et les seuls vraiment fiables, honnêtes et sympathiques ont été les deux présidents noirs. Les deux seuls qui ont un lien affectif et d'estime réciproque avec le héros (et donc le spectateur). Les deux seuls qui avaient une véritable "carrure présidentielle" (surtout David Palmer).
Est-ce suffisant pour faire élire Obama ? Sûrement pas... mais ça l'est pour ancrer profondément dans l'esprit et l'inconscient de millions d'américains une image positive, crédible et naturelle d'un président noir. Ce n'est pas un simple film de deux heures, mais une série qui s'est étalée sur de nombreuses années, des centaines d'heures (ou presque) à suivre un président noir et à le regretter dans les dernières saisons où l'on fait fréquemment référence à lui.
Dennis Haysbert, l'acteur interprétant le rôle du président Palmer est d'ailleurs convaincu que son personnage a aidé Obama (CNN).
Si l'appartenance des différents présidents à un parti n'est jamais affichée, il apparaît assez clairement que David Palmer est plus démocrate que républicain (il n'était pas évident quand la série a été conçue d'imaginer un président noir, ça l'était encore moins d'imaginer un président noir républicain). Une sorte d'anti-Bush, dans le caractère (comme Obama), mais aussi la politique. Il n'y a pas d'axe du mal et d'axe du bien dans 24, pas de gentils américains d'un côté et de méchants terroristes islamistes de l'autre. David Palmer (comme son frère, plus tard) lutte contre les va-t-en-guerre qui le pousse à des représailles rapides après un attentat... il compte sur Jack Bauer pour dénouer la situation, trouver les vrais coupables, et refuse de se soumettre aux pressions l'incitant à en profiter pour attaquer un pays ennemi (comment ne pas penser à Obama, un des rares sénateurs ayant voté contre l'envoi de troupes en Irak). La guerre contre le terrorisme, dans 24, ne consiste pas à envahir le moindre pays susceptible d'accointances avec des réseaux terroristes, de démanteler des groupuscules d'illuminés... elle est surtout une guerre interne, les pires ennemis étant des politiciens corrompus et des industriels véreux. Non pas des politiciens gauchistes "traîtres", mais plutôt de parfaits capitalistes pro-américains prêts à déclencher des conflits pour les intérêts américains. En fin de compte, les ennemis sont plus souvent des Bush que des Saddam et autres Ben Laden.
Un des autres grands préjugés chez ceux qui n'ont que vaguement entendu parler de 24, c'est de la considérer comme une grosse série d'action spectaculaire avec un "super-héros" exemplaire.
Bien sûr, c'est une série bourrée d'action... mais aucune série d'action n'a jamais accordée une telle place à la politique, aux intrigues dans les coulisses du pouvoir. Une série véritablement complexe, adulte, peu manichéenne... avec des personnages assez décalés et réalistes. C'est une des constantes dans la série, les alliés de Jack Bauer à l'agence anti-terroriste sont loin de ressembler aux héros des Experts. Pas des mannequins cool et sexy - sûr que c'est hyper-crédible, des équipes de la police scientifique qui ont l'impression de sortir d'une pub pour l'Oréal - mais des physiques assez particuliers (Chloé, Edgar, Lynn McGill) et des personnages peu sociables, singuliers... à côté de Chloé (la plus étonnante), Edgar et Lynn, il y a eu Tony, Morris O'Brian, Mike Doyle... et Jack Bauer lui-même. Qui est une sorte d'anti-James Bond (enfin, le James Bond d'avant Daniel Craig, avant que l'influence justement de 24 ne rende has-been le personnage et l'oblige à se moderniser). Nerveux, tourmenté, limite asocial... et quasi-suicidaire. Hanté par son passé et l'événement tragique qui conclut la première saison, Bauer n'est pas un héros patriotique, solaire, plein de grands idéaux... il est blasé, parano (et même junkie dans une saison), c'est souvent plus pour David Palmer qu'il accepte de revenir aux affaires que par "amour de son pays". On en vient même à se demander s'il n'est pas finalement motivé par une forme d'instinct masochiste ou suicidaire tant, à chaque fois que plusieurs options s'offrent à lui, il se jette sur la plus risquée, dangereuse, et douloureuse. Néanmoins, il reste bien sûr le héros de la série et sauveur de l'Amérique (de "Bauer Jack" à Barack... il n'y a pas grand chose...).
Celui qui incarne le héros américain de ce début de XXI° siècle n'est pas un américain pur souche bien comme il faut... Kiefer Sutherland aime l'alcool, trop sans doute (conduites en état d'ivresse, qui lui ont valu 48 heures de prison dernièrement) c'est un grand collectionneur de guitares (surtout la mythique Gibson Les Paul), il a eu un grand choc, à 12 ans, en découvrant Led Zeppelin et, fasciné par Jimmy Page, s'est mis à la guitare... il adore aussi les Beatles (particulièrement l'album blanc) et AC/DC (interview de Sutherland sur le site de Gibson, l'illustre marque ayant même créé un modèle en collaboration avec Kiefer Sutherland, la Gibson KS-336). Sutherland est aussi un membre actif du NDP, le parti démocrate canadien (New Democratic Party), plus à gauche que le parti démocrate américain... bref, celui qui incarne le grand héros américain de cette décennie est un canadien rock'n'roll de gauche (Sutherland n'est pas seulement l'acteur principal de 24, il en est aussi producteur).
24 est diffusé par la Fox, chaîne ultra-républicaine... qui semble aimer se tirer des balles dans le pied, puisqu'elle diffuse deux des séries américaines les plus subversives, 24 et les Simpson. Subversives, car il ne s'agit pas de séries plus ou moins trash réservées à un public averti, ou idéologiquement très marquées à gauche et n'attirant que des... gens de gauche. Car la subversion la plus efficace, ce n'est pas celle d'artistes confidentiels qui en font des tonnes dans la provoc' et ne s'adressent qu'à un public venu pour ça... mais plutôt celle capable de toucher une vaste audience. Les Simpson et 24 sont des chevaux de Troie dans le bastion républicain qu'est la Fox. Sous ses dehors de dessin animé humoristique, les Simpson ridiculise les valeurs de la chaîne, pendant que 24 aura fait le jeu des démocrates durant cette décennie, installant dans les esprits l'image positive d'un président noir et prenant un parti opposé à la politique de Bush. Il faut imaginer le républicain moyen, jubilant à l'idée de découvrir sur sa chaîne favorite une grande série spectaculaire où il est question de "botter le cul des terroristes"....
Premier choc : le président est noir... et remarquable... et personne ne trouve ça bizarre.
Deuxième choc : difficile de ne pas lire une sévère critique de l'administration Bush et des guerres en Irak et Afghanistan quand on lui montre d'un côté, les "bons" (Palmer et Bauer), qui font tout pour éviter la guerre et vont débusquer les coupables chez les industriels et politiciens américains plus que dans les pays arabes ; et de l'autre, les "mauvais", des hommes de pouvoir américain prêts à partir en guerre pour les intérêts du pays.
Troisième choc : Il y a quelques terroristes islamistes, certes... mais pas tant que ça pour une série sur le terrorisme post 9/11. De plus, les arabes sont souvent des victimes, certains étant injustement suspectés et maltraités par des racistes avant que l'on ne découvre le vrai coupable dans une famille blanche américaine standard.
Quatrième choc : Enfin un président blanc, mélange de Nixon et Bush... il est lâche, traître, calculateur, dépassé par les événements...
On attend que TF1 (qui pourtant, n'a jamais déclarée officiellement être partisane) diffuse une série aussi ambitieuse et critique sur la politique du gouvernement de droite en place, avec pour président de la France un noir ou maghrébin charismatique et compétent (sans que cela ne soit une "curiosité" mais une évidence sur laquelle on ne s'attarde pas...) On risque fort d'attendre longtemps...
Actualité oblige, je m'attarde sur la dimension visionnaire de 24 (imbattable de ce point de vue : une série sur le terrorisme conçue avant les attentats du 11 septembre, et qui a préfiguré - voire conditionné - le succès d'Obama). Mais l'essentiel reste tout de même que cette série révolutionnaire est d'une inventivité, d'une intelligence, d'une virtuosité et d'un suspense exceptionnels. Des Soprano à Californication en passant par Six Feet Under, Nip/Tuck, Lost ou The Shield, les séries américaines de cette décennie ont été particulièrement brillantes, audacieuses, adultes et fascinantes... mais, si toutes ont leurs qualités, aucune n'est à la fois aussi intense, addictive et intelligente que 24.