7 septembre 2008
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Franz Schubert (1797-1828, compositeur autrichien) - 2° mouvement (Andantino) de la sonate pour piano en la majeur (D. 959)
La cerise sur le chef-d'oeuvre Valse avec Bachir, ce sont deux morceaux auxquels je tiens particulièrement, deux morceaux pourtant à l'opposé l'un de l'autre, This is not A Love Song de P.I.L, et l'andantino de la sonate pour piano D. 959 de Schubert.
La vidéo de This is not a love song, comme je l'expliquais précédemment, c'est l'ex-chef de file du mouvement punk, l'ex-ennemi public n°1 de la bonne société anglaise qui cabotine avec arrogance et nous dit "J'ai beau venir d'un milieu prolo, être le plus provocateur des punks, je m'en fous, je m'incruste sans aucune gêne dans le "beau monde", dans vos costumes, vos bagnoles, votre univers, mais les pieds sur la table".
Schubert, c'est l'inverse... le génie discret, introverti, et incompris. Sa pauvreté a parfois été exagérée, il n'était pas inconnu... mais a tout de même été Sans Domicile Fixe et ses oeuvres n'avaient, pour l'essentiel, pas vraiment de succès. Sans parler du fait qu'il n'a jamais vraiment connu l'amour (et en a beaucoup souffert) a contracté à 25 ans la syphilis (auprès d'une prostituée semble-t-il), cette maladie qui va le ronger jusqu'à sa mort prématurée, à 31 ans (mort encore plus jeune que Mozart).
S'il fallait lancer un grand concours des vies d'hommes célèbres les plus tristes et pathétiques, difficile de trouver mieux (enfin pire) que celle de Schubert. Pas vraiment gâté par la nature, myope, pauvre, incompris, n'a pas connu l'amour, atteint d'une maladie douloureuse jusqu'à sa mort à 31 ans... à ce stade, ce n'est plus un destin malchanceux, c'est de l'acharnement. Comme si les dieux de la musique lui avaient donné trop et que les autres dieux ont décidé de tout lui reprendre à côté pour équilibrer. Car ce pauvre myope timide, malade et rondouillard est un des plus grands compositeurs de l'histoire. A la fois un grand novateur, qui ne sera compris que bien après sa mort (grâce à Liszt, notamment), et peut-être le plus grand mélodiste de l'histoire de la musique. Ce que prouve ce magnifique andantino...
Une des mélodies les plus belles, poignantes et mélancoliques que je connaisse. Brahms l'appelait "berceuse de la douleur", il avait raison. Ce seul thème sublime, c'est déjà une raison de placer au plus haut ce mouvement. Mais Schubert ne s'arrête pas là. Il le fait suivre d'une partie centrale stupéfiante, inattendue après cette première partie si émouvante et délicate, mais aussi étonnante pour l'époque (1828). L'andantino est de "forme-lied", c'est à dire que la 2° partie est "contrastante", alors que la 3° partie est un retour à la 1° partie (subtilement variée). Mais le contraste dans cette 2° partie est... fou. Des modulations particulièrement audacieuses et déstabilisantes, ajoutées à une violence, une liberté, une montée en tension et une frénésie qu'on ne pouvait imaginer succéder à une première partie aussi mélancolique et touchante. Bref, ce que fait ici le timide Schubert, quand on replace les choses dans leur contexte, c'est bien plus étonnant et violent que ce que feront les punks...
D'une certaine manière, c'est tout le romantisme qu'on retrouve dans ce mouvement. Si Beethoven est le "père", le précurseur, le guide pour les musiciens romantiques, il reste par certains aspects un classique comme Haydn et Mozart. Schubert, lui, est souvent considéré comme le premier vrai compositeur romantique. Dans cet andantino, on a les deux facettes du romantisme à leur plus haut :
1° et 3° parties : mélancolie, délicatesse, intériorité, solitude, rêve, tristesse, souffrance
2° partie : originalité, tension, folie, violence, étrangeté, provocation, fantastique, tourments, révolte
Cet andantino est d'autant plus surprenant dans cette sonate en la majeur que l'oeuvre est plutôt apaisée, lumineuse, sereine. Une oeuvre écrite juste deux mois avant sa mort... après des compositions plus désespérées, sombres, témoignages de sa douleur, Schubert revient à un peu plus de "légèreté"... sauf dans ce 2° mouvement, poignant et déchirant, comme si la mort, la douleur et le tragique de sa condition surgissaient à nouveau au beau milieu d'une période de sage résignation.
La musique classique n'a pas forcément besoin de codes, de savoir, pour être comprise et aimée... surtout dans ce cas-là. Je ne vois pas comment - à moins d'être allergique à la mélancolie - on peut ne pas être sensible et touché par le thème génial de la 1° partie (et ne sautez pas la 3° partie, le thème y revient avec une magnifique variation). Si vous restez insensibles, c'est que vous n'êtes pas humain (je ne vois pas d'autre explication) :
Franz Schubert - 2° mouvement de la sonate pour piano en la majeur D. 959
(J'ai mis deux versions, celles de Pollini et Brendel, avec une toute petite préférence pour Pollini, même si les deux sont assez proches)
Le rythme de l'andantino est un rythme de valse (valse lente, 3 temps avec le premier temps plus appuyé)... pourtant, ce n'est pas ce titre que l'on entend au moment de la fameuse valse du film, qui est la non-moins belle Valse n°2 op. 64 de Chopin. Mais l'andantino de Schubert est beaucoup plus dans "l'atmosphère" et l'esprit du film.
Pour terminer, si certains découvrent la beauté de la musique de Schubert par ce biais, une playlist avec des oeuvres (ou surtout des mouvements) que j'aime particulièrement et qui ont le grand mérite d'être des chefs-d'oeuvre avec d'inoubliables mélodies envoûtantes :
Critique du film Valse Avec Bachir
This is not A love Song de P.I.L.
Carnets sur sol : remarquable article sur les lieder de Schubert.
La cerise sur le chef-d'oeuvre Valse avec Bachir, ce sont deux morceaux auxquels je tiens particulièrement, deux morceaux pourtant à l'opposé l'un de l'autre, This is not A Love Song de P.I.L, et l'andantino de la sonate pour piano D. 959 de Schubert.
La vidéo de This is not a love song, comme je l'expliquais précédemment, c'est l'ex-chef de file du mouvement punk, l'ex-ennemi public n°1 de la bonne société anglaise qui cabotine avec arrogance et nous dit "J'ai beau venir d'un milieu prolo, être le plus provocateur des punks, je m'en fous, je m'incruste sans aucune gêne dans le "beau monde", dans vos costumes, vos bagnoles, votre univers, mais les pieds sur la table".
Schubert, c'est l'inverse... le génie discret, introverti, et incompris. Sa pauvreté a parfois été exagérée, il n'était pas inconnu... mais a tout de même été Sans Domicile Fixe et ses oeuvres n'avaient, pour l'essentiel, pas vraiment de succès. Sans parler du fait qu'il n'a jamais vraiment connu l'amour (et en a beaucoup souffert) a contracté à 25 ans la syphilis (auprès d'une prostituée semble-t-il), cette maladie qui va le ronger jusqu'à sa mort prématurée, à 31 ans (mort encore plus jeune que Mozart).
S'il fallait lancer un grand concours des vies d'hommes célèbres les plus tristes et pathétiques, difficile de trouver mieux (enfin pire) que celle de Schubert. Pas vraiment gâté par la nature, myope, pauvre, incompris, n'a pas connu l'amour, atteint d'une maladie douloureuse jusqu'à sa mort à 31 ans... à ce stade, ce n'est plus un destin malchanceux, c'est de l'acharnement. Comme si les dieux de la musique lui avaient donné trop et que les autres dieux ont décidé de tout lui reprendre à côté pour équilibrer. Car ce pauvre myope timide, malade et rondouillard est un des plus grands compositeurs de l'histoire. A la fois un grand novateur, qui ne sera compris que bien après sa mort (grâce à Liszt, notamment), et peut-être le plus grand mélodiste de l'histoire de la musique. Ce que prouve ce magnifique andantino...
Une des mélodies les plus belles, poignantes et mélancoliques que je connaisse. Brahms l'appelait "berceuse de la douleur", il avait raison. Ce seul thème sublime, c'est déjà une raison de placer au plus haut ce mouvement. Mais Schubert ne s'arrête pas là. Il le fait suivre d'une partie centrale stupéfiante, inattendue après cette première partie si émouvante et délicate, mais aussi étonnante pour l'époque (1828). L'andantino est de "forme-lied", c'est à dire que la 2° partie est "contrastante", alors que la 3° partie est un retour à la 1° partie (subtilement variée). Mais le contraste dans cette 2° partie est... fou. Des modulations particulièrement audacieuses et déstabilisantes, ajoutées à une violence, une liberté, une montée en tension et une frénésie qu'on ne pouvait imaginer succéder à une première partie aussi mélancolique et touchante. Bref, ce que fait ici le timide Schubert, quand on replace les choses dans leur contexte, c'est bien plus étonnant et violent que ce que feront les punks...
D'une certaine manière, c'est tout le romantisme qu'on retrouve dans ce mouvement. Si Beethoven est le "père", le précurseur, le guide pour les musiciens romantiques, il reste par certains aspects un classique comme Haydn et Mozart. Schubert, lui, est souvent considéré comme le premier vrai compositeur romantique. Dans cet andantino, on a les deux facettes du romantisme à leur plus haut :
1° et 3° parties : mélancolie, délicatesse, intériorité, solitude, rêve, tristesse, souffrance
2° partie : originalité, tension, folie, violence, étrangeté, provocation, fantastique, tourments, révolte
Cet andantino est d'autant plus surprenant dans cette sonate en la majeur que l'oeuvre est plutôt apaisée, lumineuse, sereine. Une oeuvre écrite juste deux mois avant sa mort... après des compositions plus désespérées, sombres, témoignages de sa douleur, Schubert revient à un peu plus de "légèreté"... sauf dans ce 2° mouvement, poignant et déchirant, comme si la mort, la douleur et le tragique de sa condition surgissaient à nouveau au beau milieu d'une période de sage résignation.
La musique classique n'a pas forcément besoin de codes, de savoir, pour être comprise et aimée... surtout dans ce cas-là. Je ne vois pas comment - à moins d'être allergique à la mélancolie - on peut ne pas être sensible et touché par le thème génial de la 1° partie (et ne sautez pas la 3° partie, le thème y revient avec une magnifique variation). Si vous restez insensibles, c'est que vous n'êtes pas humain (je ne vois pas d'autre explication) :
Franz Schubert - 2° mouvement de la sonate pour piano en la majeur D. 959
(J'ai mis deux versions, celles de Pollini et Brendel, avec une toute petite préférence pour Pollini, même si les deux sont assez proches)
Le rythme de l'andantino est un rythme de valse (valse lente, 3 temps avec le premier temps plus appuyé)... pourtant, ce n'est pas ce titre que l'on entend au moment de la fameuse valse du film, qui est la non-moins belle Valse n°2 op. 64 de Chopin. Mais l'andantino de Schubert est beaucoup plus dans "l'atmosphère" et l'esprit du film.
Pour terminer, si certains découvrent la beauté de la musique de Schubert par ce biais, une playlist avec des oeuvres (ou surtout des mouvements) que j'aime particulièrement et qui ont le grand mérite d'être des chefs-d'oeuvre avec d'inoubliables mélodies envoûtantes :
Critique du film Valse Avec Bachir
This is not A love Song de P.I.L.
Carnets sur sol : remarquable article sur les lieder de Schubert.