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Karlheinz Stockhausen : 22/08/1928, Mödrath (Allemagne) 5/12/2007, Kürten (Allemagne)
Un des compositeurs les plus importants et influents du XX° siècle est mort hier. Compositeur d'autant plus influent qu'il est un des rares dont l'oeuvre a dépassé le petit monde très fermé de la musique contemporaine "savante" pour inspirer et intéresser le monde du rock et des musiques "populaires" (le jazz aussi, Mingus et Miles Davis surtout...) Cela pour une bonne et simple raison : il est le pionnier de la musique électronique. Difficile de faire aimer la musique contemporaine aux fans de rock, mais nul besoin de se creuser la tête pour éveiller leur curiosité lorsqu'il s'agit de Stockhausen, suffit de rappeler quelques faits :
- Stockhausen est le seul compositeur présent sur la légendaire pochette de Sgt Pepper. McCartney s'enorgueillissait d'avoir fait découvrir Stockhausen aux autres Beatles, il a déclaré que l'idée du "mythique" crescendo final dans A day in the Life lui est venue en écoutant Stockhausen... et Lennon, fasciné lui aussi par le compositeur allemand, s'est inspiré de ses oeuvres (notamment Hymnen, collage électronique d'hymnes nationaux) pour le fameux Revolution 9 du White Album.
- Stockhausen était un des compositeurs favoris de Frank Zappa, avec Stravinsky et Varèse. Ce qui s'entend dès son premier album, Freak out ! (1966). Pete Townshend (Who) et Bowie citent eux aussi Stockhausen comme une référence déterminante. Même chose pour Radiohead depuis qu'ils ont intégré l'électro.
- Toute la musique électronique et le rock-électro ont été directement ou indirectement influencés par Stockhausen. Ne serait-ce que par le biais de Kraftwerk. Impensable d'évoquer le "krautrock" allemand des années 70 sans évoquer Stockhausen. Une référence essentielle pour Kraftwerk, Tangerine Dream, Klaus Schulze et les autres... Holger Czukay, leader des excellents Can, était même élève de Stockhausen.
- Pour toute la musique techno, des origines à l'electronica la plus pointue, Stockhausen est une sorte de "père spirituel". Une caution aussi, et une référence prestigieuse pour répondre au cliché récurrent : "bah, la techno, c'est pas de la musique, c'est des types qui bidouillent et font du bruit". Pourtant, Stockhausen n'a jamais montré de grand intérêt pour les musiques populaires et la techno.
Enfin, Björk est une inconditionnelle de Stockhausen, elle le cite systématiquement comme une de ses plus grandes influences.
Karlheinz Stockhausen et John Cage
Je ne m'étendrai pas sur l'oeuvre de Stockhausen, compositeur qui a beaucoup expérimenté et défriché (musique éléctronique, musiques "mixtes", électro-acoustique, spatialisation du son, musiques improvisées, aléatoires...) Stockhausen ne s'est jamais enfermé dans un style particulier, il a sans cesse su évoluer. Mais je rappelerai juste la différence entre la musique concrète et la musique électronique, deux musiques qui ont en commun d'être nées au début des années 50, élaborées en studio et d'avoir rompu avec les instruments traditionnels :
- La musique concrète est française à l'origine (Pierre Schaeffer, Pierre Henry). Il s'agit de sons enregistrés puis mixés. On part de sons réels, "concrets", qu'on assemble et travaille en studio.
- La musique électronique vient d'Allemagne (studios de Cologne). Et, comme son nom l'indique, elle utilise des sons créés à l'aide d'appareils... électroniques. Si Stockhausen n'est pas "l'inventeur" de la musique électronique, il fait partie des pionniers, et deviendra LA figure emblématique du genre. Lors du premier concert de musique électronique (1953), deux pièces de Stockhausen sont jouées : Studie I et Studie II
Bref... rien de bien compliqué pour différencier l'une de l'autre.
Mais la dernière fois où Stockhausen a vraiment fait parler de lui, ce n'est pas pour sa musique, mais ce commentaire qui a fait couler beaucoup d'encre en 2001 sur les attentats du 11 septembre : "la plus grande oeuvre d'art qu'il y ait jamais eu dans le cosmos".
Phrase qu'il a ensuite démentie, assurant qu'un journaliste avait déformé son propos. Qu'il l'ait dit ou non, elle lui reste associée, et on ne s'étonne pas de la voir dans toutes les brèves bios posthumes depuis hier. Bien entendu, cette phrase est choquante. Et cette phrase a fait le tour des rédactions et plateaux télés, à vitesse grand V, tout le monde s'insurgeant contre cette "horreur" prononcée par Stockhausen. Mais "tout le monde" a oublié une chose pourtant essentielle, Stockhausen n'est pas un politicien, mais un artiste. Et le rôle de l'artiste, ce n'est pas de dire ce que tout le monde dit, ce n'est pas de faire la morale et de relayer les évidences, mais de voir ce que les autres ne voient pas, d'explorer là où les autres ne vont pas, de dévoiler ce qui se cache sous les apparences et de le présenter sous forme de métaphore. Et Stockhausen a frappé juste. En pleine "effervescence", alors qu'on nous diffusait en boucle sur toutes les chaînes ces mêmes images, que toutes les émissions, tous les journalistes, présentateurs, personnalités du show-business se succédaient pour faire part de leur consternation... voilà que surgit cette petite phrase. Qui n'est pas de la provoc' gratuite, mais une véritable mise en abime de ce qui se déroulait devant nos yeux, de ce qui a pu motiver les terroristes, de ce qu'au fond, on ne pouvait que ressentir. Car il y a des centaines de scénarios possibles pour un attentat, et celui choisi par Al-Qaïda a été le plus spectaculaire, télégénique et cinématographique que l'on puisse imaginer, des avions percutant de gigantesques buildings. Et malgré le choc, la douleur, la compassion, la rage, la tristesse et l'effarement qu'on a pu tous ressentir à ce moment, on ne peut nier qu'il y a eu de la fascination. Car ces images sont fascinantes. Elles ont captivé la planète entière, ont donné l'impression que le réel devenait fiction (et inversement), que l'on assistait "pour de vrai" à une super-production hollywoodienne, que le monde ne serait plus jamais le même et basculait vers un... "ailleurs". Irréel, un des mots que l'on a sans doute le plus entendu à propos de ces attentats et de ces images. Il ne s'agit bien évidemment pas de considérer Al-Qaïda comme une troupe de théâtre d'avant-garde et le "11 Septembre" comme le happening ou la performance la plus grandiose de l'histoire de l'art... mais simplement de ne pas perdre de vue cette fascination qui "ne se dit pas" mais qui est bien réelle. Un film, un livre sur un type normal et sympa qui vit une vie normale et sympa, sans tensions, sans le moindre drame, sans qu'il ne se passe rien d'exceptionnel... ça intéresse qui ? Nous sommes tous accros aux excitants, aux émotions fortes, et l'art nous fournit nos doses régulières. La phrase de Stockhausen est monstrueuse... comme nous le sommes, tous. Pourquoi Stockhausen n'a pas assumé cette phrase ? Peut-être ne l'a-t-il pas proncé... mais peut-être aussi a-t-il saisi qu'elle ne serait jamais comprise et qu'elle renvoie à une part de nous que nous ne pouvons assumer...
Stockhausen créait depuis une soixantaine d'années, mais un des compositeurs majeurs de ces 100 dernières années bien vivant, ça n'intéressait pas les grands médias. Un individu "normal" a très bien pu passer ces 30 dernières années sans n'avoir jamais entendu parler de Stockhausen. Sauf à deux occasions : sa phrase sur le 11 Septembre, et sa mort (d'ailleurs, je parle moi aussi de Stockhausen seulement au moment où il vient de mourir). Ce qui, en fin de compte, illustre parfaitement ce que l'on peut lire derrière son si terrible propos.
Mais pour terminer sur une note plus positive... l'essentiel, sa musique, avec un extrait de Kontakte oeuvre mixte pour électronique et instruments (la vidéo est celle d'un internaute) :
Un des compositeurs les plus importants et influents du XX° siècle est mort hier. Compositeur d'autant plus influent qu'il est un des rares dont l'oeuvre a dépassé le petit monde très fermé de la musique contemporaine "savante" pour inspirer et intéresser le monde du rock et des musiques "populaires" (le jazz aussi, Mingus et Miles Davis surtout...) Cela pour une bonne et simple raison : il est le pionnier de la musique électronique. Difficile de faire aimer la musique contemporaine aux fans de rock, mais nul besoin de se creuser la tête pour éveiller leur curiosité lorsqu'il s'agit de Stockhausen, suffit de rappeler quelques faits :
- Stockhausen est le seul compositeur présent sur la légendaire pochette de Sgt Pepper. McCartney s'enorgueillissait d'avoir fait découvrir Stockhausen aux autres Beatles, il a déclaré que l'idée du "mythique" crescendo final dans A day in the Life lui est venue en écoutant Stockhausen... et Lennon, fasciné lui aussi par le compositeur allemand, s'est inspiré de ses oeuvres (notamment Hymnen, collage électronique d'hymnes nationaux) pour le fameux Revolution 9 du White Album.
- Stockhausen était un des compositeurs favoris de Frank Zappa, avec Stravinsky et Varèse. Ce qui s'entend dès son premier album, Freak out ! (1966). Pete Townshend (Who) et Bowie citent eux aussi Stockhausen comme une référence déterminante. Même chose pour Radiohead depuis qu'ils ont intégré l'électro.
- Toute la musique électronique et le rock-électro ont été directement ou indirectement influencés par Stockhausen. Ne serait-ce que par le biais de Kraftwerk. Impensable d'évoquer le "krautrock" allemand des années 70 sans évoquer Stockhausen. Une référence essentielle pour Kraftwerk, Tangerine Dream, Klaus Schulze et les autres... Holger Czukay, leader des excellents Can, était même élève de Stockhausen.
- Pour toute la musique techno, des origines à l'electronica la plus pointue, Stockhausen est une sorte de "père spirituel". Une caution aussi, et une référence prestigieuse pour répondre au cliché récurrent : "bah, la techno, c'est pas de la musique, c'est des types qui bidouillent et font du bruit". Pourtant, Stockhausen n'a jamais montré de grand intérêt pour les musiques populaires et la techno.
Enfin, Björk est une inconditionnelle de Stockhausen, elle le cite systématiquement comme une de ses plus grandes influences.
Karlheinz Stockhausen et John Cage
Je ne m'étendrai pas sur l'oeuvre de Stockhausen, compositeur qui a beaucoup expérimenté et défriché (musique éléctronique, musiques "mixtes", électro-acoustique, spatialisation du son, musiques improvisées, aléatoires...) Stockhausen ne s'est jamais enfermé dans un style particulier, il a sans cesse su évoluer. Mais je rappelerai juste la différence entre la musique concrète et la musique électronique, deux musiques qui ont en commun d'être nées au début des années 50, élaborées en studio et d'avoir rompu avec les instruments traditionnels :
- La musique concrète est française à l'origine (Pierre Schaeffer, Pierre Henry). Il s'agit de sons enregistrés puis mixés. On part de sons réels, "concrets", qu'on assemble et travaille en studio.
- La musique électronique vient d'Allemagne (studios de Cologne). Et, comme son nom l'indique, elle utilise des sons créés à l'aide d'appareils... électroniques. Si Stockhausen n'est pas "l'inventeur" de la musique électronique, il fait partie des pionniers, et deviendra LA figure emblématique du genre. Lors du premier concert de musique électronique (1953), deux pièces de Stockhausen sont jouées : Studie I et Studie II
Bref... rien de bien compliqué pour différencier l'une de l'autre.
Mais la dernière fois où Stockhausen a vraiment fait parler de lui, ce n'est pas pour sa musique, mais ce commentaire qui a fait couler beaucoup d'encre en 2001 sur les attentats du 11 septembre : "la plus grande oeuvre d'art qu'il y ait jamais eu dans le cosmos".
Phrase qu'il a ensuite démentie, assurant qu'un journaliste avait déformé son propos. Qu'il l'ait dit ou non, elle lui reste associée, et on ne s'étonne pas de la voir dans toutes les brèves bios posthumes depuis hier. Bien entendu, cette phrase est choquante. Et cette phrase a fait le tour des rédactions et plateaux télés, à vitesse grand V, tout le monde s'insurgeant contre cette "horreur" prononcée par Stockhausen. Mais "tout le monde" a oublié une chose pourtant essentielle, Stockhausen n'est pas un politicien, mais un artiste. Et le rôle de l'artiste, ce n'est pas de dire ce que tout le monde dit, ce n'est pas de faire la morale et de relayer les évidences, mais de voir ce que les autres ne voient pas, d'explorer là où les autres ne vont pas, de dévoiler ce qui se cache sous les apparences et de le présenter sous forme de métaphore. Et Stockhausen a frappé juste. En pleine "effervescence", alors qu'on nous diffusait en boucle sur toutes les chaînes ces mêmes images, que toutes les émissions, tous les journalistes, présentateurs, personnalités du show-business se succédaient pour faire part de leur consternation... voilà que surgit cette petite phrase. Qui n'est pas de la provoc' gratuite, mais une véritable mise en abime de ce qui se déroulait devant nos yeux, de ce qui a pu motiver les terroristes, de ce qu'au fond, on ne pouvait que ressentir. Car il y a des centaines de scénarios possibles pour un attentat, et celui choisi par Al-Qaïda a été le plus spectaculaire, télégénique et cinématographique que l'on puisse imaginer, des avions percutant de gigantesques buildings. Et malgré le choc, la douleur, la compassion, la rage, la tristesse et l'effarement qu'on a pu tous ressentir à ce moment, on ne peut nier qu'il y a eu de la fascination. Car ces images sont fascinantes. Elles ont captivé la planète entière, ont donné l'impression que le réel devenait fiction (et inversement), que l'on assistait "pour de vrai" à une super-production hollywoodienne, que le monde ne serait plus jamais le même et basculait vers un... "ailleurs". Irréel, un des mots que l'on a sans doute le plus entendu à propos de ces attentats et de ces images. Il ne s'agit bien évidemment pas de considérer Al-Qaïda comme une troupe de théâtre d'avant-garde et le "11 Septembre" comme le happening ou la performance la plus grandiose de l'histoire de l'art... mais simplement de ne pas perdre de vue cette fascination qui "ne se dit pas" mais qui est bien réelle. Un film, un livre sur un type normal et sympa qui vit une vie normale et sympa, sans tensions, sans le moindre drame, sans qu'il ne se passe rien d'exceptionnel... ça intéresse qui ? Nous sommes tous accros aux excitants, aux émotions fortes, et l'art nous fournit nos doses régulières. La phrase de Stockhausen est monstrueuse... comme nous le sommes, tous. Pourquoi Stockhausen n'a pas assumé cette phrase ? Peut-être ne l'a-t-il pas proncé... mais peut-être aussi a-t-il saisi qu'elle ne serait jamais comprise et qu'elle renvoie à une part de nous que nous ne pouvons assumer...
Stockhausen créait depuis une soixantaine d'années, mais un des compositeurs majeurs de ces 100 dernières années bien vivant, ça n'intéressait pas les grands médias. Un individu "normal" a très bien pu passer ces 30 dernières années sans n'avoir jamais entendu parler de Stockhausen. Sauf à deux occasions : sa phrase sur le 11 Septembre, et sa mort (d'ailleurs, je parle moi aussi de Stockhausen seulement au moment où il vient de mourir). Ce qui, en fin de compte, illustre parfaitement ce que l'on peut lire derrière son si terrible propos.
Mais pour terminer sur une note plus positive... l'essentiel, sa musique, avec un extrait de Kontakte oeuvre mixte pour électronique et instruments (la vidéo est celle d'un internaute) :