Folk-rock Universal Island - 24/09/2007 ****
White Chalk... une aubaine pour les critiques. Aucun risque de se trouver face à l'angoisse de la page blanche. Un album original, très différent de son prédécesseur (et même de tous les précédents albums de PJ)... au lieu de perséverer dans ce qui a fait son style, elle en prend le contre-pied : ambiances et chants éthérés loin de la rugosité et de la hargne, univers très "folk anglais onirique" plutôt que blues-rock teigneux et terrien, piano et broken harp préférés aux guitares et batteries rock. Facile, donc, de s'étendre sur les nouveaux instruments, nouvelles ambiances, l'évolution de son chant, d'établir des comparaisons, de louer son audace et sa créativité.
Donc, Polly Jean, au nom de tous ceux qui écrivent sur la musique... mille merci !
Mieux encore, PJ donne de la matière à ceux qui ont un regard psychologique ou sociologique de la musique. Qui auraient de quoi se perdre dans d'interminables débats et de s'étriper sur le sens de l'album.
Pour un psychologue... c'est un album formidable et particulièrement émouvant. PJ assume enfin totalement sa féminité. Lorsqu'elle a débarqué de sa campagne pour conquérir le monde du rock au début des années 90, c'était un garçon manqué, terne, mal (mâle ?) dans sa peau, tourmenté à l'excès, qui jouait une musique rêche et torturait sa guitare et sa voix (4-track demo). La sortie de To Bring You my Love marquait déjà une évolution notable : elle ne renie plus sa féminité et sa sensualité, même si elle restera dans un cadre rock et ne renoncera pas à la hargne... jusqu'à ce White Chalk. Ici, plus aucune trace de rage, finies les distortions, les batteries rentre-dedans, place à des instruments plus "féminins", un chant fragile et aérien, des atmosphères délicates et rêveuses. Elle berce, elle caresse... la tendresse n'est plus un gros mot chez PJ. Elle est passée de garçon manqué à fille sexy, indomptable et volontaire... elle revient en femme douce et réservée. La pochette et l'évolution de son look sont à ce sujet éloquentes. Après avoir connu une PJ en jean et blouson de cuir, puis une Polly Jean provoquante en jupes très courtes, décolletées, couleurs voyantes... voilà Miss Harvey, une jeune femme qui n'a plus besoin d'en faire trop dans la négation ou l'exposition de sa féminité. Elle est en paix avec elle-même, n'a plus à rejetter ou allumer les hommes, et son album le confirme. Pas le genre d'album qui accroche irrésistiblement à la première rencontre par de gros effets, mais un album qui demande de l'attention pour en saisir la subtile et profonde beauté.
La note du psychologue :10/10
Pour un sociologue... cet album est une grande déception. Immense, même, quand on pense à tous les espoirs fondés en PJ. Une régression totale et un sinistre constat d'échec. Un des albums les plus réactionnaires de l'histoire du rock. Rien que ça. Car PJ Harvey a tant représenté... la preuve qu'une frêle jeune femme pouvait être plus rock et vindicative que des machos gonflés de testostérone. La preuve qu'une jeune femme pouvait faire du rock, et du bon, sans jouer la "bitch". Bien sûr, il y a eu Janis Joplin et Patti Smith avant elle... mais on pensait tenir en PJ Harvey une artiste des plus talentueuses capable de reprendre le flambeau après des années 80 dominées par le vidéo-clip, où les femmes ont essentiellement tenu le rôle de fantasme et d'objet sexuel. PJ a un peu déçu avec son virage "sexy" et aguicheur, mais elle restait insoumise, indocile et rock'n'roll. Avec White Chalk, nous voilà revenu loin en arrière. On passe du XXI° siècle au XIX°, oubliant le XX° et les luttes féministes. XIX° siècle - celui de sa nouvelle tenue - une des périodes les plus obscures pour les femmes où - pour aller vite et caricaturer - une jeune fille se devait d'être prude, virginale, discrète, diaphane, soumise avant de devenir une bonne épouse, une bonne maîtresse de maison et une mère dévouée. C'est exactement ce que dit la pochette, Miss Harvey y est assise, passive, figée dans sa chaste robe blanche, attendant sans doute qu'on lui donne l'ordre de pouvoir s'exprimer ou faire le moindre mouvement... il ne lui manque plus que les aiguilles à tricoter.
Pas question pour une femme du XIX° d'écrire des symphonies puissantes et fracassantes, elle doit s'en tenir à l'image qu'on attend d'elle et déplacer avec grâce ses jolis petits doigts fins sur un piano. Ce n'est pas autre chose que fait PJ Harvey sur White Chalk, elle renonce au bruit, à la fureur, à la rage, se range à une certaine idée de la femme qui ne serait que douceur, élégance, retenue, une femme sentimentale, mélancolique et rêveuse.
Triste constat d'échec, car si une des artistes qui a le mieux incarné la femme libre capable de battre les hommes sur leur propre terrain en vient à se rêver en femme du XIX°... cela voudrait donc dire qu'elle allait "contre sa nature" et a su retrouver petit à petit, avec cet album comme aboutissement, "l'éternel féminin". Comme si, après des errances et expériences diverses, une femme, au bout du compte, ça doit être "ça"....
La note du sociologue : 0/10
Tout cela, bien évidemment, ce ne sont que des points de vue, des interprétations. Plausibles, peut-être, mais on ne peut en aucun cas appréhender la musique uniquement par leurs biais. Car l'essentiel, c'est que White Chalk est un très bel album. Polly Jean Harvey est une artiste passionnante, qui peut bien s'incarner en ce qu'elle veut, explorer les facettes de sa personnalité qui lui plaisent, évoluer comme elle l'entend. Tout ce qui compte, c'est qu'elle continue à nous enchanter, nous transporter, nous étonner, qu'elle ait toujours autant de style et garde intacte son inspiration, peu importe où elle la dirige. Après, chacun peut bien s'amuser à y lire ce qu'il souhaite...
Donc... la note du type qui aime bien les digressions psychologico-sociologiques mais fait passer le style et le plaisir de la musique avant le reste : 8,5/10
Et... pourquoi s'emmerder à chercher des arguments, interprétations, explications, alors qu'il suffit tout simplement de s'abandonner à une des plus belles voix de ces 20 dernières années. La preuve irréfutable en image et en son :
PJ Harvey - Grow Grow Grow :
Le single : When under Ether
Chaque fois que j'entends ce single, je ne peux m'empêcher de penser à To have and to hold de Depeche Mode... deux mélodies très proches :
Depeche Mode - To have and to hold
PJ Harvey - White Chalk
1. The Devil
2. Dear Darkness
3. Grow grow grow
4. When under ether
5. White Chalk
6. Broken Harp
7. Silence
8. To Talk to you
9. The piano
10. Before departure
11. The mountain
Excellente chronique de l'album chez arbobo
Plus courte - mais pas anecdotique pour autant - la chronique de Thom
Compte-rendu du concert de PJ au Grand Rex, sur 7 and 7 is
Celui d'arbobo
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