Dans le précédent article, je disais que je n'écrirai pas avant une semaine... mais après l'excellente dernière chronique de Thom, je ne pouvais pas ne pas rebondir et vous livrer cette constatation qui me trotte dans la tête depuis longtemps.
Comment le discours de Sarkozy a-t-il pu devenir "acceptable" et même plébiscité par les français ? Parce que son fond de commerce est sensiblement le même que celui de Le Pen, qui, lui, n'a même pas pu dépasser les 20% au 2° tour des élections de 2002, et a été traîné dans la boue pour avoir tenu des propos pas si différents de ceux de Sarkozy. Certains pensent que les relations très proches de Sarkozy et des patrons des grands médias ont joué pour "promouvoir" ses idées. Mais ce n'est qu'anecdotique. Faut être pas mal parano pour imaginer que dans toutes les rédactions des radios et grandes chaînes de télé, les Bouygues, Lagardère & co ont débarqué en disant "Bon, les choses sont claires, le but est de faire élire Nicolas, alors vous allez faire tout pour". Peut-être y a-t-il eu quelques "pressions", de l'auto-censure... mais on ne peut penser que les grands médias ont été utilisé comme des machines de guerre pour faire élire Sarkozy (quoique TF1...)
Non, cela relève d'une mécanique bien plus inconsciente et insidieuse. Que j'observe, étonné, depuis avant même les élections de 2002. On a beaucoup glosé sur les relations de connivence entre Sarkozy et les journalistes. Mais, à mon avis, on néglige le processus à la base de ces jeux de séduction. Avant de le détailler... petite parenthèse nécessaire sur le rôle des journalistes :
Les journalistes dont je parle sont ces journalistes médiatiques, présentateurs de JT, d'émissions de télé, éditorialistes et intervieweurs, ces journalistes qui sont pour le peuple des références, des modèles, des médiateurs auxquels ils s'identifient. Les journaux de presse-people où l'on évoque les vacances, les amours où la nouvelle paire de chaussures de Claire Chazal et PPDA se vendent en masse, mais qui s'intéresse au travail de vrais journalistes-enquêteurs comme Denis Robert ? A part les juges qui l'accablent ?
Le présentateur de JT, par la neutralité qu'il doit observer est un "espace vide" dans lequel se projette le public. Ce mélange de proximité, de neutralité, de respect et de fascination pour ceux qui "savent" et nous apportent quotidiennement la vérité du monde dans lequel nous vivons (bah, si, c'est la vérité, la preuve, on a des images...) donne aux journalistes de télé un immense pouvoir sur le public.
Qui sont ces "journalistes" ?
Des individus qui viennent pour l'essentiel de milieux privilégiés. Bonne éducation, bonne élocution, bonne présentation... qu'ils le veuillent ou non, les Chazal, PPDA, Schoenberg, Laurence Ferrari, Marie Drucker, Thomas Hugues, Ockrent sont les plus parfaites illustrations de ce qu'on pourrait appeler de "grands bourgeois bien comme il faut". Pernaut l'est peut-être un peu moins... mais lui ne compte pas, il est plus sarkozyste que Sarkozy depuis le début...
Quels sont les rapports entre les journalistes et les politiques ?
Un rapport de séduction. Qu'il soit homme ou femme, le journaliste est dans la posture traditionnellement "fénimine", celle d'être draguée par le politique qui va tout faire pour lui prouver qu'on peut lui faire confiance et qu'il est le meilleur parti. Une interview politique, c'est chaque fois comme un premier rendez-vous. Il s'agit pour le politique de se montrer sous son meilleur jour, de masquer ses défauts et valoriser ses qualités, pendant que le journaliste le jauge et le questionne pour savoir s'il vaut vraiment le coup et a du répondant. Comme dans un premier rendez-vous, il ne s'agit pas de céder dès la première oeillade du politique, sous peine de passer pour un journaliste-facile, mais de savoir garder ses distances... qui n'empêchent pas quelques signaux prouvant que l'on est... "intéressé".
Venons-en donc au fait...
L'étonnement dont je parlais un peu plus haut vient du fait que depuis de nombreuses années, les interviews de Sarkozy par ces "journalistes médiatiques" me font systématiquement penser aux jeux de séductions lycéens, et à ce que j'appellerai le syndrome du "voyou charismatique". Pas loin du syndrome du "beau ténébreux", qui correspond tout de même moins à Sarkozy.
On a tous connu ça (on l'a même parfois été)... le voyou charismatique, dans les salles de classe, c'est le type assez turbulent, au fond de la classe, qui ne respecte pas vraiment les règles, provoque et ose ce que les autres n'osent pas. Le propre du voyou charismatique, c'est de fasciner un peu tout le monde, et particulièrement les pucelles de bonnes familles. Qui sont un peu "choquées" au début, mais, en s'habituant, commencent à se sentir toute chose quand elles le voient. Parce qu'il les dérange, les trouble, a un petit côté sulfureux qui les émoustille. Elles n'ont pas encore "vu le loup", mais voilà un loup qui a l'air plutôt sympathique, et pas aussi dangereux qu'elles le pensaient. Certes, au premier rang, il y a bien le gentil binoclard fana de donjons et dragons, de rock-prog ou de metal-symphonique (désolé Thom, c'est plus fort que moi...), avec lequel il n'y aurait pas le moindre risque. Mais c'est tellement moins excitant...
Sarkozy ne pouvait que fasciner les "journalistes-pucelles de bonne famille" et remplir ce rôle de "voyou charismatique". Certes on trouve quelques agitateurs à l'extrême-gauche... mais leur monde est moins séduisant. Se taper une manif sous la pluie à Roubaix en compagnie de prolos dépressifs contre la délocalisation d'une usine de textile, c'est moins glamour que les soirées au Fouquet's. Quant à l'extrême-droite... pas question de flirter avec Le Pen, la "grosse brute infréquentable isolée au fond de la classe".
Face à Sarkozy, on a ainsi pu voir des journalistes tout émoustillés de trouver enfin un "bad boy" qui les change des soporifiques discours politiquement corrects et convenus des "grosses têtes" de la politique. Un mauvais garçon qui dérange leurs certitudes de "grands bourgeois" vivant dans un petit monde de privilégiés, un mauvais garçon qui leur parle avec une familiarité déconcertante mais troublante, eux qui sont habitués surtout à des dialogues de bon aloi où chacun garde ses distances. Un mauvais garçon qui leur sort le grand jeu, les bouscule et n'hésite pas à les plonger dans le pathos avant de les faire rêver avec les plus belles promesses. Tout ça est très "grossier", mais ça marche. Le syndrome de la bourgeoise qui vit dans un milieu hyper-protégé, respectable et feutré, mais rêve d'un voyou qui l'enlève. Des Madame Bovary qui s'ennuyaient avec leurs maris fades et polis, et qui attendaient un homme, un vrai, pour les brusquer et leur faire connaître des relations plus excitantes. Des pucelles qui jouent un peu au début les "vierges effarouchées" face aux provocations d'un type moins "lisse" que les autres, mais qui sentent bien qu'elles sont à deux doigts de fondre.
Un mauvais garçon qui a aussi sû renverser les rôles, en culpabilisant les journalistes. Lui qui prône la répression, que les journalistes "bien-pensants" attendaient en imaginant qu'ils pourraient se faire l'écho d'idées plus nobles et tolérantes face au "bourreau" Sarkozy... voilà que Sarkozy se pose en victime et s'approprie le cas de Mme Michu, terrifiée par l'idée de sortir de chez elle parce que des "jeunes" dealent en bas de son HLM et l'insultent quotidiennement, de M. Machin, qui se se lève tôt pour un travail ne lui permettant pas de nourrir correctement sa famille pendant que les assistés se la coulent douce en touchant les allocs, ou de Mlle Untel, qui s'est faite violer dans une cave par de jeunes sauvages de banlieue. Le tout, en prenant directement à parti la journaliste, lui disant "Vous feriez quoi, vous, si..." Alors bien sûr, la journaliste, elle culpabilise un peu, parce que personne ne deale en bas de chez elle, elle a de quoi nourrir sa famille et bien plus encore, et ne se fait pas violer dans des caves sordides... C'est comme les "pucelles de bonne famille" qui pensent faire comprendre au "voyou charismatique" qu'il est tout de même un peu trop brusque, mais quand lui leur répond que c'est la vie qui a été dure avec lui, venant d'un milieu défavorisé avec un père alcoolique qui le battait etc, etc... elles se sentent coupables, elles qui ont toujours tout eu sur un plateau, et sont d'autant plus séduites par ce "mauvais garçon au grand coeur qui connait les dures réalités de la vie".
Face à Le Pen, c'était facile, d'autant plus qu'il n'était que rarement invité. Il était de toute façon considéré comme le "méchant infréquentable et irrécupérable" de l'histoire. Le journaliste n'avait pas à "résister à la tentation", il restait imperturbable, le moindre signe de sympathie et d'approbation aurait été très mal perçu. Donc il gardait la tête froide, et ne laissait pas passer certains discours populistes et tendancieux.
Devant ma télé, chaque fois que je tombais sur ce type d'interview de Sarkozy, je n'avais qu'une envie, celle de dire au journaliste : "Bordel, tu te laisse embobiner comme une pucelle... jouez à ce genre de petits jeux de séduction lors d'un dîner si ça vous amuse, mais là, il s'agit de l'avenir du pays !"
Ce sont les "journalistes-stars" qui légitiment de manière inconsciente le discours des politiques. Censés rester impartiaux, ils incarnent l'objectivité. Les politiques embrouillent, racolent, n'ont pas toujours un discours simple... la confiance et l'adhésion du spectateur s'appuie de manière inconsciente sur les réactions et le regard de ces journalistes-stars. Et dans le regard des journalistes, ce qu'on pouvait lire, c'était... "et pourquoi pas lui ? ça serait un peu plus excitant qu'avec les autres... au moins, il y aurait de l'action !"
Bien entendu, ce n'est pas ce seul jeu de séduction qui a fait élire Sarkozy. Mais je suis absolument certain qu'il y a contribué. Car c'est cette fascination un peu "canaille" des journalistes pour Sarkozy qui a permis à son discours de trouver la respectabilité et le pouvoir de séduction que n'avait pas celui de Le Pen...