La chanson contestataire dans l'Amériques des sixties
Yves Delmas, Charles Gancel
(2004/Textuel)
Un bouquin sur les "Protest Songs" des 60's... le pire était à craindre. Des auteurs psycho-rigides pour lesquels seules les chansons engagées ont de la valeur, des rockeurs passéistes regrettant les chansons 60's et martelant : "le rock, c'était mieux avant, maintenant les groupes ne pensent plus qu'à leur carrière et n'ont plus rien de contestataire". Le tout dans un livre concocté pour de vieux hippies nostalgiques ou des cadres sup qui ont vécu ces années-là et, confortablement installés depuis dans leur petite vie bourgeoise, veulent s'imaginer qu'ils ont toujours une âme de révolutionnaires.
Rien de cela dans cet excellent livre. Les deux auteurs ont trouvé la bonne distance : un regard intéressé et intéressant, mais pas de complaisance.
Dylan - il ne pouvait en être autrement - est le personnage principal du livre. Mais il n'est pas sacralisé, loin de là, rien n'est passé sous silence de ses zones d'ombre, de son ambiguïté et de son cynisme. Les destins croisés de Bob Dylan et Joan Baez sont très bien vus. D'un côté, Dylan devient le héros - et le héraut - de l'Amérique contestataire, alors qu'il souhaite passer à autre chose et trouve quelque peu ridicule d'adresser des messages soi-disant subversifs à un public... totalement acquis à sa cause. De l'autre, Joan Baez, de tous les combats, avec un engagement sans faille et sincère... mais qui souffrira toujours d'un léger manque de crédibilité : une frêle jeune femme à la si jolie voix cristalline ne pouvait aux yeux de beaucoup "porter la révolution". De la même manière, Dylan aurait voulu être les Beatles, faire des chansons qui touchent le très grand public, alors que les Beatles (enfin, surtout Lennon...) rêvaient d'être Dylan et d'être pris au sérieux. Plus anecdotique, mais jubilatoire, la description de la fameuse première rencontre entre les Beatles et Dylan, où ce-dernier fait découvrir aux Fab Four les joies de la fumette est à ne pas manquer...
Ce qu'ont en commun les auteurs de Protest Song et Bob Dylan, c'est qu'ils ne tombent jamais dans la naïveté. Gancel et Delmas se montrent critiques, et parfois même féroces sur les illusions hippies ou certaines dérives psychédéliques pas très heureuses. Dylan, lui, sentait bien que de critiquer le gouvernement devant des bandes de folkeux chevelus et marginaux ne risquait pas de changer le monde. Il a vite compris les limites des "protest-songs", et avait du mal à supporter le manichéisme du genre, il était trop malin pour penser que des chansons allaient radicalement et définitivement transformer la société. Faut dire que, 40 ans plus tard, Bush au pouvoir aux EU et Sarkozy chez nous, ça lui donne plutôt raison... Les rêves libertaires des 60's semblent bien loin.
Pourtant, cette période restera comme la plus passionnante de l'histoire du rock et des musiques populaires modernes. Une période où tout semblait possible, où la jeunesse ne manifestait pas pour la "sécurité de l'emploi", mais pour renverser le système et les valeurs des générations précédentes. Les plus grands groupes ne se contentaient pas de concerts de charités pour des causes bien consensuelles et politiquement correctes, mais dérangeaient réellement. On est en quelque sorte passé de la contre-culture à la sous-culture mollassone.
La fin du bouquin, sur la contestation dans les chansons post-60's est aussi très intéressante. A travers l'exemple d'une chanson qui est une des plus virulentes contre l'Amérique et un des plus gros tubes des 80's : Born in the USA de Springsteen. Une étude a montré que la majorité des américains ont fait un total contresens sur son message, imaginant qu'elle exalte le patriotisme alors qu'elle est à charge contre les EU. Même Reagan n'a rien compris et l'a utilisé pour sa campagne...
Quelques chapitres auparavant, les auteurs montraient comment Yellow Submarine, bluette que les Beatles n'aimaient pas tant que ça est devenu un hymne lysergique et contestataire. Comme quoi, ce sont moins les chansons qui agissent sur la société, que la société qui les récupère et leur fait dire ce qu'elle veut...
Un livre intelligent, bien documenté, bien écrit, avec ce qu'il faut d'ironie et de nostalgie, sur une période passionnante... que demander de plus ! Seul petit reproche... quasiment pas un mot sur les Doors. Certes, les Doors n'ont pas vraiment fait de "protest-song" au sens strict du terme, mais peu de groupes ont autant incarné la révolte qu'eux. Car ils ne se contentaient pas de dénoncer tel ou tel travers du pouvoir en place, ils illustraient plutôt cette célèbre et très belle phrase de Lennon dans Revolution : "You say you want a revolution, well, you know, you better free your mind instead". Dénoncer les injustices n'intéressait pas Morrison, il souhaitait s'attaquer au fond du problème plutôt qu'aux symptômes, agir sur la conscience et remettre en cause les conditionnements les plus profondément ancrés chez ses contemporains.
Bob Dylan, Joan Baez, Phil Ochs, les Beatles, Hendrix, Janis Joplin, Jefferson Airplane, Neil Young, MC5 etc... sont mis à l'honneur dans ce livre, les Doors méritaient eux aussi un peu plus d'attention. Cela excepté, c'est un très bon bouquin sur le rock, ce qui n'est pas si fréquent.
Bob Dylan dans sa première période, folk et contestataire :
Bob Dylan - The ballad of Hollis brown
Hollis Brown he lived, on the outside of town
Hollis Brown he lived, on the outside of town
With his wife and five children
In his cabin broken down
He looked for work and money, and he walked a ragged mile
He looked for work and money, and he walked a ragged mile
Your children are so hungry
That they don't know how to smile
Your baby's eyes look crazy and they're tuggin' at your sleeve
Your baby's eyes look crazy and they're tuggin' at your sleeve
You walk the floor and you wonder why
With every breath you breathe
The rats have got your flour, bad blood it got your mare
The rats have got your flour, bad blood it got your mare
Is there anyone that knows
Is there anyone that cares
You prayed to the Lord above to please send you a friend
You prayed to the Lord above to please send you a friend
Your empty pockets tell you
That you ain't got no friend
Your baby's a cryin' louder now it's poundin' on your brain
Your baby's a cryin' louder now it's poundin' on your brain
Your wife's screams are a stabbin' you
Like dirty, drivin' rain
Your grass is turnin' black and there's no water in your well
Your grass is turnin' black and there's no water in your well
You spent your last lone dollar
On them seven shotgun shells
Way out in the wilderness a cold coyote calls
Way out in the wilderness a cold coyote calls
Your eyes fix on the shotgun
That's hangin' on the wall
Your brain it is a bleedin' and your legs can't seem to stand
Your brain it is a bleedin' and your legs can't seem to stand
Your eyes fix on the shotgun
That you're holdin' in your hand
There's seven breezes blowin' around the cabin door
There's seven breezes blowin' all around the cabin door
Seven shots ring out
Like the oceans pounding roar
There's seven people dead on a South Dakota farm
There's seven people dead on a South Dakota farm
Somewhere in the distance
There's seven new people born.