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8 septembre 2007 6 08 /09 /septembre /2007 10:44
protest-song.jpgProtest Song
La chanson contestataire dans l'Amériques des sixties

Yves Delmas
,
Charles Gancel
(2004/Textuel)








Un bouquin sur les "Protest Songs" des 60's... le pire était à craindre. Des auteurs psycho-rigides pour lesquels seules les chansons engagées ont de la valeur, des rockeurs passéistes regrettant les chansons 60's et martelant : "le rock, c'était mieux avant, maintenant les groupes ne pensent plus qu'à leur carrière et n'ont plus rien de contestataire". Le tout dans un livre concocté pour de vieux hippies nostalgiques ou des cadres sup qui ont vécu ces années-là et, confortablement installés depuis dans leur petite vie bourgeoise, veulent s'imaginer qu'ils ont toujours une âme de révolutionnaires.  

Rien de cela dans cet excellent livre. Les deux auteurs ont trouvé la bonne distance : un regard intéressé et intéressant, mais pas de complaisance. 
Dylan - il ne pouvait en être autrement - est le personnage principal du livre. Mais il n'est pas sacralisé, loin de là, rien n'est passé sous silence de ses zones d'ombre, de son ambiguïté et de son cynisme.  Les destins croisés de Bob Dylan et Joan Baez sont très bien vus. D'un côté, Dylan devient le héros - et le héraut - de l'Amérique contestataire, alors qu'il souhaite passer à autre chose et trouve quelque peu ridicule d'adresser des messages soi-disant subversifs à un public... totalement acquis à sa cause. De l'autre, Joan Baez, de tous les combats, avec un engagement sans faille et sincère... mais qui souffrira toujours d'un léger manque de crédibilité : une frêle jeune femme à la si jolie voix cristalline ne pouvait aux yeux de beaucoup "porter la révolution". De la même manière, Dylan aurait voulu être les Beatles, faire des chansons qui touchent le très grand public, alors que les Beatles (enfin, surtout Lennon...) rêvaient d'être Dylan et d'être pris au sérieux. Plus anecdotique, mais jubilatoire, la description de la fameuse première rencontre entre les Beatles et Dylan, où ce-dernier fait découvrir aux Fab Four les joies de la fumette est à ne pas manquer...

Ce qu'ont en commun les auteurs de Protest Song et Bob Dylan, c'est qu'ils ne tombent jamais dans la naïveté. Gancel et Delmas se montrent critiques, et parfois même féroces sur les illusions hippies ou certaines dérives psychédéliques pas très heureuses. Dylan, lui, sentait bien que de critiquer le gouvernement devant des bandes de folkeux chevelus et marginaux ne risquait pas de changer le monde. Il a vite compris les limites des "protest-songs", et avait du mal à supporter le manichéisme du genre, il était trop malin pour penser que des chansons allaient radicalement et définitivement transformer la société. Faut dire que, 40 ans plus tard, Bush au pouvoir aux EU et Sarkozy chez nous, ça lui donne plutôt raison... Les rêves libertaires des 60's semblent bien loin.
Pourtant, cette période restera comme la plus passionnante de l'histoire du rock et des musiques populaires modernes. Une période où tout semblait possible, où la jeunesse ne manifestait pas pour la "sécurité de l'emploi", mais pour renverser le système et les valeurs des générations précédentes. Les plus grands groupes ne se contentaient pas de concerts de charités pour des causes bien consensuelles et politiquement correctes, mais dérangeaient réellement. On est en quelque sorte passé de la contre-culture à la sous-culture mollassone.
 
La fin du bouquin, sur la contestation dans les chansons post-60's est aussi très intéressante. A travers l'exemple d'une chanson qui est une des plus virulentes contre l'Amérique et un des plus gros tubes des 80's : Born in the USA de Springsteen. Une étude a montré que la majorité des américains ont fait un total contresens sur son message, imaginant qu'elle exalte le patriotisme alors qu'elle est à charge contre les EU. Même Reagan n'a rien compris et l'a utilisé pour sa campagne...   
Quelques chapitres auparavant, les auteurs montraient comment Yellow Submarine, bluette que les Beatles n'aimaient pas tant que ça est devenu un hymne lysergique et contestataire. Comme quoi, ce sont moins les chansons qui agissent sur la société, que la société qui les récupère et leur fait dire ce qu'elle veut...   

Un livre intelligent, bien documenté, bien écrit, avec ce qu'il faut d'ironie et de nostalgie, sur une période passionnante... que demander de plus ! Seul petit reproche... quasiment pas un mot sur les Doors. Certes, les Doors n'ont pas vraiment fait de "protest-song" au sens strict du terme, mais peu de groupes ont autant incarné la révolte qu'eux. Car ils ne se contentaient pas de dénoncer tel ou tel travers du pouvoir en place, ils illustraient plutôt cette célèbre et très belle phrase de Lennon dans Revolution : "You say you want a revolution, well, you know, you better free your mind instead". Dénoncer les injustices n'intéressait pas Morrison, il souhaitait s'attaquer au fond du problème plutôt qu'aux symptômes, agir sur la conscience et remettre en cause les conditionnements les plus profondément ancrés chez ses contemporains. 
Bob Dylan, Joan Baez, Phil Ochs, les Beatles, Hendrix, Janis Joplin, Jefferson Airplane, Neil Young, MC5 etc... sont mis à l'honneur dans ce livre, les Doors méritaient eux aussi un peu plus d'attention. Cela excepté, c'est un très bon bouquin sur le rock, ce qui n'est pas si fréquent.

Bob Dylan dans sa première période, folk et contestataire :

Bob Dylan - The ballad of Hollis brown

Hollis Brown he lived, on the outside of town
Hollis Brown he lived, on the outside of town
With his wife and five children
In his cabin broken down

He looked for work and money, and he walked a ragged mile
He looked for work and money, and he walked a ragged mile
Your children are so hungry
That they don't know how to smile

Your baby's eyes look crazy and they're tuggin' at your sleeve
Your baby's eyes look crazy and they're tuggin' at your sleeve
You walk the floor and you wonder why
With every breath you breathe

The rats have got your flour, bad blood it got your mare
The rats have got your flour, bad blood it got your mare
Is there anyone that knows
Is there anyone that cares

You prayed to the Lord above to please send you a friend
You prayed to the Lord above to please send you a friend
Your empty pockets tell you
That you ain't got no friend

Your baby's a cryin' louder now it's poundin' on your brain
Your baby's a cryin' louder now it's poundin' on your brain
Your wife's screams are a stabbin' you
Like dirty, drivin' rain

Your grass is turnin' black and there's no water in your well
Your grass is turnin' black and there's no water in your well
You spent your last lone dollar
On them seven shotgun shells

Way out in the wilderness a cold coyote calls
Way out in the wilderness a cold coyote calls
Your eyes fix on the shotgun
That's hangin' on the wall

Your brain it is a bleedin' and your legs can't seem to stand
Your brain it is a bleedin' and your legs can't seem to stand
Your eyes fix on the shotgun
That you're holdin' in your hand

There's seven breezes blowin' around the cabin door
There's seven breezes blowin' all around the cabin door
Seven shots ring out
Like the oceans pounding roar

There's seven people dead on a South Dakota farm
There's seven people dead on a South Dakota farm
Somewhere in the distance
There's seven new people born.
  

Lire l'introduction du livre et le chapitre sur Janis Joplin : ici.
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commentaires

F
Oui, mais pas en même temps.
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G
On t'embrasse tous aussi, cher Fab ! Comme quoi, le "love and peace" n'est pas totalement mort...
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F
En fait, on est tous ou plus ou moins d'accord, mais avec des intensités différentes sur les différents aspects du sujet.Et on arrive à se le dire avec calme et ouverture d'esprit...Moi je trouve ça beau, ça me plaiut, j'aime cette ambiance.Je vous embrasse.;-) 
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G
Comme le dit Christian, la musique a un grand pouvoir, et c'est pour cela qu'elle est si souvent la cible des dictatures. Par contre, et je pense qu'on se rejoint, les chansons "engagées" trop didactiques, qui balancent sans grande subtilité des messages du type "le racisme et la guerre, c'est pas bien..." c'est assez ridicule et lourdingue. Et je suis aussi d'accord avec Fab, et cette idée qu'on vit dans un monde où l'apparente liberté d'expression fait qu'il n'y a pas grand chose de subversif et d'excitant dans une chanson qui se veut critique de la société.
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C
Oui, pas faut en effet. Je suis assez d'accord avec ton constat, Fab. Mais justement, croire en l'art comme antidote à la médiacratisation (ou médiocratisation au choix) dont tu parles, c'est aussi résister non... Et peut-être de manière plus efficace qu'avec sa carte d'électeur...Une petite précision, je ne parlais pas obligatoirement des chansons engagées (protest song), même si c'est le sujet de la chronique de G.T., je n'en suis d'ailleurs pas un grand amateur. Une chanson ou une oeuvre n'a pas besoin d'être engagée pour être subversive. Archie Shepp disait un truc du genre : "trouver le juste milieu entre ta lutte et ton amour..."
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F
Et puis je voudrais dire à Christian : j'ai l'impression que les dictatures modernes arrivent de plus en plus à se passer des méthodes fortes pour s'imposer. De moins en moins de censure officielle, de moins en moins de répression armées, d'uniformes au gouvernement...Par contre, faire croire à la liberté d'expression en laissant tout se dire sur des médias qui de toute façon ne concernent toujours que les mêmes microcosmes, et de l'autre côté museler le peuple sans en avoir l'air en lui disponibilisant le cerveau pour les grandes firmes internationales, ou lui faire croire en la démocratie quand il va élire le candidat qui passe le plus à la télé, ça a l'air de se faire de plus en plus."Revolution"? Ah oui, c'est la pub pour Orange, ça, non? 
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F
Les chansons ont une utilité sociale? je comprends ce que vous voulez dire. Oui, moi aussi, j'ai vu plusieurs fois ma perception de la vie et du monde changer grâce a une chanson. Et évidemment je suis sans doute pas le seul. <br /> Seulement, quand on sait (ou devine) le nombre de morceaux bourrés de bonnes intentions qui ont été chantés (pour l'amour, contre la guerre, pour la Terre, contre la faim dans le monde, pour le partage des richesses...) et quand on voit comment évolue le monde dans lequel on vit (libéralisme économique et individualismes florissants, guerres et puvreté persistantes, pauvreté...), alors on est en droit de penser que pour vriament changer le monde, il vaut mieux prendre une carte d'électeur, bosser pour l'humanitaire, ou prendre le maquis plutôt qu'empoigner une guitare.<br /> Ceci dit, je suis un grand amateur de musique engagée; une bonne protest-song c'est toujours bon pour la gueule, ça aide à être moins con, mais je pense que c'est à peu près tout ce qu'on peut en attendre.<br /> Hé, pis si le monde était comme dans les chansons, et ben le paquebot France s'appelerait toujoours France et ça, tout le monde sait que c'est trop beau pour être vrai! ;-)
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C
Comment ça, une chanson, la musique, ou autre création artistique ne pourraient changer le monde ? Mais elles sont le monde !Pourquoi donc sont elles systématiquement interdites, censurées ou brulées par les dictatures ?
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G
Alf : Il serait dommage de s'en priver !Alex : J'a ressenti cette même méfiance en tombant sur ce livre. Cela faisait plusieurs fois qu'il me narguait dans les rayons de la médiathèque, j'ai fini par l'emprunter en me disant que j'e le feuileterai rapidement... et je n'ai pas sauté une ligne, tellement je l'ai trouvé bien foutu.Fab et Ska : Une chanson ne peut changer le monde, il y a pas mal de naïveté chez les groupes qui font un titre sur tel ou tel sujet et croient que cela aura un réel impact... mais la musique et les chansons ne sont pas totalement "inutiles" non plus. Comme le dit Ska, la "contre-culture" a tout de même eu une influence importante sur la société.
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S
Mouais, pas si sûr... La contre-culture (salut à Bizot !) a quand même eu son influence. La chanson n'était qu'une composante, mais tout de même, elle a pu un temps se faire le reflet de changements de société profonds... Alors, le rock, non, n'a pas changé le monde. Mais il a participé d'un plus large mouvement. Et aux marges il continue...Je ne suis plus adolescent depuis longtemps mais je crois toujours à l'utilité de l'art...Et puis imagine un monde où n'existeraient que Sardou, Hallyday et Patrick Sébastien...
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F
Et il fallait un bouquin entier pour se rendre compte que chanter au-dessus d'une giutare, c'était un peu comme pisser dans un violon?Sans vouloir fanfaronner, il me paraît évident, depuis que j'ai quitté l'adolescence, que se ne sont pas les chansons qui peuvent changer le monde. Malheureusement.
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A
Quand j'ai lu le titre de ton article, j'ai ressenti exactement ce que tu décris dans ton premier paragraphe : encore un pavé où la protest song va être décrite comme la seule VRAIE chanson. Heureusement, la suite de ton très bon article m'a donné tort !
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S
Tu donnes très envie de lire ce livre.Mais pour l'instant, je suis dans celui, remarquable, de FrançoisBon sur Bob Dylan. J'attendrai donc un peu... :-)Et puis si ce livre réhabilite Born in the USA, tout va bien. Le livre sur cette chanson auquel tu fais allusion, j'imagine que c'est celui de Hugues Barrière paru l'an dernier ? (et qui est très pertinent en effet).
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A
voilà qui est (bien) dit et qui me donne l'envie de trouver ce livre rapido... à + GT
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