Jazz 1960/Candid *****
Lee Hazlewood nous a quitté il y a deux semaines, le voilà rejoint par un des plus grands musiciens du XX° siècle, Max Roach, décédé hier à l'âge de 83 ans (1925-2007). Il est dans l'usage de surévaluer les morts, surtout pendant la période de deuil où les superlatifs pleuvent, mais il sera difficile de surévaluer Max Roach qui était déjà depuis longtemps considéré comme le plus grand batteur de jazz, donc... le plus grand percussioniste moderne. Max Roach n'a pas seulement révolutionné le jeu de batterie, il a aussi contribué à révolutionner le jazz - en étant à l'origine du be-bop avec Parker, Gillespie, Monk et quelques autres - et plusieurs de ses albums resteront comme des monuments du jazz, tel l'indispensable We Insist! Max Roach's Freedom Now Suite. Mais avant d'en parler plus en détail, deux albums auxquels a participé Roach et dont il serait dommage de se priver :
- Roach était le batteur "logique" de l'historique The Greatest Jazz Concert Ever, concert de 1953 (au Massey Hall, Toronto) dont l'enregistrement a été baptisé de la sorte par la suite car on y trouve la formation jazz la plus impressionnante qui soit :
Charlie Parker au sax (qui apparaît sur le disque sous le nom de "Charlie Chan")
Dizzy Gillespie à la trompette
Bud Powell au piano
Charles Mingus à la contrebasse
Max Roach à la batterie
La "dream team" des génies du jazz moderne, avec 5 musiciens qui sont devenus les références absolues pour leurs instruments. Les conditions n'étaient pas idéales (voir la chronique sur ma jazzothèque), mais, bien évidemment, la magie opère.
- Autre "réunion au sommet", l'album Money Jungle, avec Ellington au piano, Mingus à la contrebasse et Max Roach à la batterie. Soit le plus grand compositeur de l'histoire du jazz accompagné par la section rythmique la plus remarquable qu'on puisse imaginer. Rien que ça.
Max Roach est un musicien fondamental pour tous les grands courants du jazz moderne. Le be-bop, dont Kenny Clarke et lui sont les deux batteurs emblématiques, le hard-bop, par ses albums avec le trompettiste Clifford Brown, et le cool-jazz, car c'est lui qui tient la batterie sur l'album à l'origine du genre, Birth of the Cool de Miles Davis. Dans We Insist ! ... on trouve même des éléments de free-jazz avant l'heure.
We Insist! Max Roach's Freedom Now Suite (1960) regroupe les musiciens suivants :
Max Roach, drums
Abbey Lincoln, vocals
Coleman Hawkins, tenor saxophone on "Driva Man"
Walter Benton, tenor saxophone
Booker Little, trumpet
Julian Priester, trombone
James Schenk, bass
Michael Olatunji, conga drums on "Tears for Johannesburg"
Raymond Mantillo, percussion on "Tears for Johannesburg"
Tomas du Vall, percussion on "Tears for Johannesburg"
Un album révolutionnaire à tous points de vue, car rarement un disque de jazz n'a été aussi engagé politiquement et novateur sur le plan musical. Et les deux vont ici de pair. Ce qui n'est pas toujours le cas, certains musiciens engagés se limitent parfois à la force du texte, et la musique, secondaire, n'a qu'une bête fonction d'accompagnement. Pas de ça pour un musicien de la trempe de Max Roach. Il ne se contente pas des textes (écrits par Oscar Brown) pour défendre la cause des noirs, mais réussit à créer une musique en parfaite adéquation avec le propos. Il l'"africanise", par les rythmes utilisés, et le chant de la belle Abbey Lincoln, loin de celui souvent chargé d'émotion et de séduction des divas du jazz, est revendicateur, incantatoire, allant jusqu'à un passage fait de cris de rage.
Ironie de l'histoire, Max Roach, un des grands génies du jazz les moins médiatisés et les plus actifs pour défendre la cause noire, décède le jour des 30 ans de la mort d'Elvis Presley, le blanc qui a "tout pris aux noirs" et en a retiré la plus grande gloire (mais je ne renie pas le formidable talent du King pour autant, il n'est d'ailleurs pas responsable du fait que l'Amérique blanche des années 50 avait besoin d'une idole... blanche). Du coup, on ne parlera jamais les 16 août des décennies à venir des 10 ans de la mort de Max Roach, de ses 20 ans etc... mais des 40 ans ou 50 ans de la mort d'Elvis... Dans un monde idéal, les hommages et anniversaires posthumes n'auraient pas grand intérêt, des musiciens de la qualité de Max Roach ne seraient jamais oubliés des médias et fêtés quotidiennement, mais nous ne sommes pas dans un monde idéal...
Deux extraits de l'album, en live :
Le premier commence par un solo de Max Roach, Abbey Lincoln ne chante qu'à la fin de cet excellent titre :
Max Roach - We Insist! Max Roach's Freedom Now Suite
(textes d'Oscar Brown)
- "Driva Man" – 5:10
- "Freedom Day" – 6:02
- "Triptych: Prayer/Protest/Peace" – 7:58
- "All Africa" – 7:57
- "Tears for Johannesburg" – 9:36
Une dernière vidéo de Max Roach, avec un live plus récent et un excellent morceau de Roach à la batterie seule, ici.
Je ne me suis pas étendu sur la biographie de Roach, mais ce n'était pas nécessaire puisque Thierry vient de la résumer parfaitement dans cet article indispensable pour mieux cerner Max Roach, sur Jazz Blues & co.