06/06/2007 *****
Rock'n'roll. Voilà, tout est dit. Je pourrais m'arrêter là. Ce qui tombe bien, j'ai peu de temps pour écrire ces temps-ci. Mais je ne suis pas sûr de convaincre beaucoup de lecteurs d'aller voir ce film qui est à ce jour le 2° meilleur de l'année selon moi, ce qui n'est pas rien puisque la place de n°1 est réservée d'office - chaque année où il sort un film - à Dieu (Lynch, si vous préférez).
Rock'n'roll, donc. Parce que l'esprit de ce film est une parfaite illustration de l'esprit du rock. Sauvage, cool, déjanté, drôle, efficace, typiquement américain, nerveux, jubilatoire. C'est du sang et de la sueur. C'est aussi du sexe. Mais ni du porno "cru", ni de l'érotisme esthétisant ou chichiteux. Comme le rock, c'est suggestif, provocateur et animal. Pas de scènes de sexe, même s'il est sous-jacent ou métaphorique tout au long du film. Comme dans le rock, encore, l'important n'est pas "ce qui est dit", mais "comment on le dit". Les dialogues sont formidables, jouissifs, brillants (normal, chez Tarantino)... mais il n'est évidemment pas question de philosophie heideggérienne ou de politique internationale. Pas plus que dans le rock. Les textes des chansons des légendes du rock, des Elvis, Eddie Cochran, Jerry Lee Lewis, ou Little Richard sont généralement creux (pour ne pas dire débiles), mais ils sont chantés avec un tel style, une telle "coolitude", qu'ils deviennent fascinants. Les dialogues des filles de Death Proof ne sont que d'incessants bavardages superficiels, mais, comme c'était le cas pour les malfrats de Reservoir Dogs, l'humour, la tchatche, l'attitude, le sens de la répartie et la désinvolture transcendent la vacuité du propos. Ne pas voir le film en V.O. serait absurde, on perdrait autant qu'à écouter du Dylan, du Johnny Cash ou du Sinatra chantés en français. L'intonation, le choix des sonorités, des expressions et le "swing" des mots sont un personnage à part entière du film.
Le nouveau Tarantino est un hommage aux films de Séries B. des 70's, et à quelques détails près (téléphones portables...) on jurerait un film d'époque. Décors, image, couleurs, looks, refus d'utiliser des effets numériques , amateurisme apparent (seul bémol, les coupures et répétitions du début du film, dispensables, qui donnent l'impression d'une bande sur laquelle un machiniste crasseux aurait fait tomber la cendre de sa clope) tout va dans ce sens. Pourtant, "l'esprit" du film, c'est bien celui du rock 50's, pas du rock 70's. D'ailleurs, j'aurais pu me la couler douce et recopier ici ce que je disais du clip de Crawl Home (PJ Harvey et Josh Homme). Rôle central de la bagnole, références à cet "esprit du rock" avec comme modernité... l'inversion des rôles, et la femme qui prend le pouvoir dans un univers où les codes sont pourtant typiquement machistes. Il est amusant de constater que l'italo-américain Tarantino, fana de Sergio Leone (il y a un titre de Morricone dans la B.O.), de Scorsese, des films de genre destinés à un public masculin (films d'horreur, Bruce Lee, polars etc...- mais, soyons honnêtes, c'est aussi un cinéphile boulimique qui a la plus grande admiration pour Godard et Truffaut), grande-gueule, accumulant les conquêtes féminines, amateur de rock et de hip-hop à fortes teneurs en testérones (c'est un grand ami de RZA du Wu-tang Clan, présent sur la B.O. de Kill Bill)... amusant de constater, donc, que ses films sont sans doute les moins machistes de l'époque. Depuis Jackie Brown, c'est son 3° film de suite dont le héros est... une héroïne (ou 4°, si l'on compte Kill Bill I et II comme deux films...) Mieux, dans Death Proof il n'y a pas UNE héroïne, mais DES héroïnes. Jackie Brown ne s'en tirait pas si bien que cela, mais depuis Kill Bill, ce sont des femmes conquérantes et sans complexes qui viennent mettre la pâtée à des hommes sur leurs propres terrains. La métaphore va même au-delà, dans Kill Bill comme dans Death Proof, les mâles (David Carradine pour l'un, Kurt Russell pour l'autre) sont des "vestiges" d'une autre époque, ils sont sur la fin et, face à la jeunesse arrogante de ces femmes, ils devront s'incliner (enfin, il y aurait une nuance à apporter sur laquelle je n'en dirai pas plus pour ne pas gâcher la surprise de ceux qui comptent le voir). Le lien entre Kill Bill et Death Proof, c'est aussi, de façon plus terre à terre, Zoë Bell, doublure d'Uma Thurman sur Kill Bill, qui prend du galon, tient ici son propre rôle et nous offre une cascade... inoubliable.
Un dernier mot sur la B.O. qui est, comme toujours chez Tarantino, formidable. Une collection de perles, comme seul lui sait les dégoter, et à côté desquelles il serait dommage de passer. Avec les instrumentaux de Nitzsche et Morricone, mes préférences vont à deux chansons qui sont deux petits chefs-d'oeuvre : Staggolee de Pacific Gas & Electric et Down In Mexico des Coasters.
La B.O. est la suivante
"The Last Race" - Jack Nitzsche
"Baby, It's You" - Smith
"Paranoia Prima" - Ennio Morricone
"Jeepster" - T Rex
"Staggolee" - Pacific Gas & Electric
"The Love You Save (May Be Your Own)" - Joe Tex
"Good Love, Bad Love" - Eddie Floyd
"Down In Mexico" - The Coasters
"Hold Tight - Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick & Tich
"Sally and Jack (From the Motion Picture Blow Out)" - Pino Donaggio
"It's So Easy" - Willy DeVille
"Riot In Thunder Alley" - Eddie Beram
"Chick Habit" - April March
Le titre du générique de fin est assez marrant, c'est une reprise d'un titre de... France Gall (non, vous ne rêvez pas), Laisse Tombez les filles, chanson des 60's écrite par Gainsbourg (évidemment... vous n'imaginiez tout de même pas voir une chanson des 70's de France Gall composée par Michel Berger dans un film de Tarantino !) Cette reprise de l'américaine April March est bien supérieure à l'originale, plus sexy, plus rock, loin de la mièvrerie yéyé.
April March - Chick Habit
Enfin, si vous aimez Tarantino, les perles rock, blues, soul et rythm'n'blues, l'esprit du rock 50's et les films de série B.... n'oubliez pas de visiter le blog du Reverend Frost !
Quentin Tarantino - Death Proof (Grindhouse)
Avec Kurt Russell, Rosario Dawson, Vanessa Ferlito, Zoë Bell, Rose McGowan