It was 40 years ago today...
Cet article fait un peu "doublon" avec celui sur les 40 ans de 1967, mais en cette date anniversaire de la sortie de Sgt. Pepper (1er Juin 1967), difficile de ne pas revenir sur l'album le plus important de l'histoire. Difficile, dans les deux sens, car que dire qui n'ait pas été dit sur un tel album ? Pas grand chose, sans doute. A moins de compter le nombre de fois où l'on entend des ré # dans l'album (et encore, des maniaques l'ont sûrement déjà fait). Pas grand chose, donc, mais ce n'est pas ça qui va m'arrêter...
Sgt Pepper n'est pas simplement un "grand album". Il est à la musique pop ce que la IX° de Beethoven est à la symphonie, ce que le David de Michel-Ange est à la sculpture, ce que Reign in Blood de Slayer est au metal, ce que Nevermind the Bollocks est au punk... oui, je sais, je mélange grand art et art mineur, mais c'est exactement l'effet créé par Sgt Pepper. Avant, les choses étaient simples. La musique pop était un loisir pour adolescents qui, au mieux, suscitait l'indifférence chez les mélomanes. Mais avec Sgt Pepper, les repères seront brouillés. Les intellectuels et les artistes ne verront plus la pop et le rock du même oeil.
Pourquoi Sgt Pepper est-il l'album le plus important de l'histoire ?
Parce qu'il est le premier à n'être plus conçu comme une simple suite de singles, mais comme un "tout organique" (ce qui ne l'empêche pas d'être aussi une incroyable suite de singles). Parce qu'on n'avait jamais entendu de telles orchestrations dans la pop auparavant (merci George Martin). Parce qu'aucun album n'avait jamais coûté aussi cher, ni demandé autant de temps de travail en studio. Parce que jamais une pochette n'avait autant intrigué. Parce que les Beatles et les Beach Boys se tiraient la bourre, vers toujours plus de perfectionnisme et de sophistication, et avec Sgt Pepper, les Beatles donnent le coup de grâce, Brian Wilson ne s'en remettra pas...
Parce que les Beatles sont incontestablement le plus grand groupe de l'histoire du rock et de la pop, et, avec Revolver et le White Album - les deux albums qui précédent et suivent Sgt Pepper - on a le trio de tête des albums majeurs des musiques populaires modernes. Mais, surtout, parce qu'il y a eu un "avant" et "un après" Sgt Pepper. La musique pop n'a plus jamais été la même. Pour le meilleur et pour le pire.
Le meilleur, c'est la créativité, l'alchimie parfaite entre tubes pop imparables et quête d'originalité, l'intelligence et l'exigence dans la conception d'albums pop. Le pire... ce sont tous ceux qui ont imaginé qu'il suffisait de parer la musique pop de concepts, de sophistication ou d'emprunts au classique pour faire de la "grande" musique, ou, du moins, une musique pop plus "honorable" que le blues-rock basique. Mais les dérives de certains, on ne peut les imputer aux Beatles. Car les Beatles, justement, ne sont pas tombés dans les travers des groupes de rock progressif qui suivront. Sgt Pepper est un album riche et conceptuel, mais il n'est en rien le genre de concept album indigeste ou d'un ennui mortel, c'est un véritable album pop qui s'assume en tant que tel, par sa spontanéité et sa légèreté.
Toute la différence, c'est que Sgt Pepper donne l'impression de musiciens pop sans complexes, foisonnants d'idées, insolents, qui repoussent les limites et se fichent des chapelles, le tout dans un joyeux et savant bordel, là où beaucoup des rockeurs progressifs ont l'air de simples suiveurs en quête d'une respectabilité de façade.
Il y a du Mozart, dans Sgt Pepper... car une des choses les plus difficiles à faire en musique, c'est d'arriver à rester joyeux, léger, sans être niais ou frivole. Il est beaucoup plus simple d'être profond avec des oeuvres sombres, des oeuvres graves en mineur. Mais Mozart, comme Sgt Pepper a su conquérir les auditeurs les plus difficiles, et s'imposer comme un modèle absolu malgré sa musique le plus souvent enjouée et "positive" (et l'on pourrait l'étendre plus généralement aux Beatles, même si Sgt Pepper est sans doute le plus gai et jubilatoire de leur seconde période).
Une des ironies de l'histoire des Beatles (et donc de la pop), c'est que Lennon est généralement considéré comme le génie du groupe et McCartney un "faiseur" sympa et doué, certes, mais faiseur quand même. Pourtant, c'est McCartney qui a eu l'idée de Sgt Pepper, c'est lui qui s'est le plus impliqué dans l'album, seuls trois titres sont de Lennon (Lucy in The Sky, Being for the benefit of Mr. Kite, Good Morning). Donc... l'oeuvre phare, l'album le plus révolutionnaire de la musique pop est avant tout l'oeuvre... du "soi-disant faiseur" McCartney, pas du génie Lennon.
Lennon et McCartney co-signaient leurs chansons, mais ils les écrivaient chacun de leur côté. Une des rares chansons des Beatles qui soit réellement l'oeuvre des deux est peut-être (sans aucun doute, à mon avis) leur meilleure (de là à dire qu'elle est la plus réussie de l'histoire de la pop, il n'y a qu'un tout petit pas à franchir, et je le franchis allègrement). Cette chanson, c'est bien entendu la mythique A Day In the Life, qui conclut l'album en apothéose. Impossible de se tromper sur "qui fait quoi", elle associe ce que les deux savent faire le mieux, dans leurs styles si caractéristiques (Lennon, dans la première partie : influence folk, superbe mélodie, voix traînante et envoûtante, suivi par McCartney : rythme plus sautillant, ligne de basse swingante et... superbe mélodie aussi, évidemment). Avec en plus un Ringo Starr impérial dans sa partie de batterie, et l'orchestration "historique" de George Martin... impossible de terminer la lecture de cet article sans l'écouter... d'autant plus que la vidéo, faite à partir d'images d'époque - où l'on voit bien qu'ils ne carburaient pas qu'au jus de pomme - vaut le coup d'oeil :
A Day in the Life