Article que je comptais publier au soir de l'élection, mais le texte de Sollers me paraissait plus pertinent. Et il y a eu matière, depuis une semaine, de le compléter :
Ces dernières années, les trois hommes politiques les plus haïs par les français ont été Le Pen, Bush et Berlusconi. Mais ce peuple absurde (non, je n'ai pas dit ce peuple d'imbéciles...) a élu celui qui a fait la synthèse des trois. Le type qui a piqué à Le Pen ses provocations, la stigmatisation des jeunes de banlieue et des immigrés, qui a joué sur la peur, la répression et la sécurité. Le type qui prête allégeance à Bush et lui dit qu'il n'a pas aimé l'arrogance française (la position de Chirac et Villepin) lors de la guerre d'Irak. L'ami de Berlusconi, avec lequel il partage l'importance primordiale accordée à la communication et au contrôle des médias. Ce même Berlusconi qui lui a soufflé l'idée du "ministère de l'immigration et de l'identité nationale".
Mais ce peuple absurde (non, je n'ai pas dit ce peuple de crétins...), on le sait, est ingouvernable. Car il croit depuis toujours en un "homme providentiel", s'enthousiasme un temps, puis voit que rien ne va comme il l'espérait, et se rebelle. On ne peut négliger le caractère déterminant de l'image du "représentant" du peuple. Mitterrand et Chirac avaient une image sécurisante pour l'un, et sympathique pour l'autre, qui a sans doute permis d'éviter un ressentiment trop fort à leurs égards. Sarkozy a peut-être la tchatche, les discours populistes et l'aisance pour se faire élire, il n'a pas la stature d'un homme d'état. Un petit nerveux provocateur n'arrivera jamais à fédérer et apaiser le peuple anxieux, fort en gueule et râleur que nous sommes. Qu'on ne me parle pas du fait que l'image est "superficielle", faut être naïf et coupé du monde actuel pour le croire. Ce que Sarkozy a bien compris, lui qui a su se mettre les médias dans la poche, et a misé sur le "marketing politique". Mais il ne peut pas tout changer, et dès que l'euphorie de ses électeurs sera retombée, que les problèmes s'accumuleront, tout le monde le verra comme ce "petit nerveux" qui agaçait et suscitait tant de mépris. Il a réussi à faire oublier un temps son image de traître (il a trahi tout de même Pasqua, Chirac, Balladur, puis re-Chirac, chaque fois avec un cynisme rare, même pour un politicien), mais ça risque fort de lui revenir dans les dents. Marrant aussi de constater sa capacité à rassembler une des plus belles brochettes d'opportunistes et corrompus du pays (Tapie, Séguéla, Eric Besson, Allègre, Balkany, Longuet, Carrignon, Sevran etc...) Avec de tels soutiens, il n'y a que les journalistes aux ordres et les spectateurs de TF1 qui peuvent croire à ses belles leçons de morale...
Rarement un président en France aura autant divisé et suscité autant d'antipathie, alors même qu'il n'est pas encore en fonction. Diatribes sur le web, manifestations, incidents, voitures brûlées... la France n'est pas (encore) à feu et à sang, mais force est de constater qu'une partie de la population le hait profondément. Pourtant, après une élection, un président bénéficie toujours d'un certain "état de grâce", où tout le monde - les opposants politiques exceptés - attend de voir et se dit que, si ça se trouve, la situation va s'améliorer. Idem pour les premiers ministres. Souvenez-vous de Raffarin... apprécié au début, sa bonhomie apparente jouant pour lui, mais dès que certains problèmes sont survenus, il est devenu la risée du pays. Sarkozy n'a même pas cet état de grâce. Et il ne fait rien pour apaiser les choses, il multiplie les erreurs "symboliques", moins d'une semaine après son élection !
- Passage au Fouquet's avec ses amis people, avant même de retrouver le "peuple" à la Concorde.
- Vacances dorées pour le candidat du "travailler plus et du peuple qui souffre"...
- II veut se la jouer Kennedy, mais au lieu d'avoir Marilyn et Sinatra, il n'a que Mireille Mathieu et Bigard... c'est pas la classe américaine.
- Vacances, donc, chez Bolloré, dont il dit avoir toujours refusé l'invitation jusqu'à ce jour... alors pourquoi justement maintenant ? Sarkozy dit que Bolloré n'a jamais travaillé pour l'état, ce qui est un premier mensonge d'importance (38 millions d'euros de marchés publics !).
- Non seulement Cécilia Sarkozy n'a pas voté au 2° tour (la femme du président qui ne vote pas pour son mari, ça en dit long...), mais, surtout, l'article consacré à l'affaire a été censuré. Par le grand ami de Sarkozy et patron du journal, Arnaud Lagardère.
Un président aussi contesté, qui donne autant matière à polémiques avant même d'être en fonction, ça ne présage rien de bon.
A la limite, un premier ministre plutôt charismatique et fédérateur, comme Borloo pourrait aplanir les choses. Mais Sarkozy ne veut pas qu'on lui fasse de l'ombre, il veut le pouvoir, et il veut l'exercer, pas comme les Chirac et Mitterrand qui se plaçaient au-dessus de l'agitation politique. C'est pourquoi Fillon est pressenti. Le plus terne des hommes politiques (à côté, Juppé fait figure de fêtard sexy et bon-vivant). Sarkozy ne pourra se cacher derrière un premier ministre transparent, et Fillon ne suscitera pas de sympathie (si ce n'est de l'amicale des croque-morts dépressifs). Toutes les colères du peuple se dirigeront donc vers Sarkozy...
Sarkozy a tellement promis, tellement martelé que LUI, tiendrait ses promesses, qu'il est maintenant coincé. Soit il fait vraiment ce qu'il a dit, ce qui lui vaudra un ressentiment très fort de la part d'une grande partie de la population, avec une situation détestable (manifs, grèves, etc...) et ceux (ils seront nombreux) qui ont été assez naïfs pour croire qu'avec Sarkozy au pouvoir ils trouveront du travail du jour au lendemain ou verront leurs salaires grimper en flèche, se rallieront aux mécontents. Je rejoins (une nouvelle fois) ce qu'à dit Sollers il y a peu : Sarkozy veut liquider mai 68... ça se fera parce qu'un provocateur tel que lui va générer un mouvement de révolte qui remplacera mai 68. Effectivement, entre les jeunes de banlieues, les enseignants, les étudiants (certains ont déjà commencer à manifester la semaine dernière, et le projet Sarkozy risque d'en mettre beaucoup dans - voire à - la rue), les fonctionnaires, les syndicats, les ouvriers déçus, l'extrême-gauche et une bonne partie de la gauche... bref, il va y avoir foule à gueuler dans les rues d'ici-peu. C'est toute la limite de son projet, à vouloir diviser, stigmatiser, pointer du doigt, on se fait beaucoup d'ennemis, et on crée une situation explosive. Situation qui va dégénérer, donc, car il faut vraiment croire aux miracles - et prendre Judas pour le Christ - pour imaginer que Sarkozy arrivera à résorber le chômage et à mettre fin aux problèmes d'insécurité dans le pays.
Soit il lâche du lest, soit il continue sur sa lancée. S'il lâche du lest, s'il recule et renonce à son programme, il perdra sa crédibilité et une partie de ceux qui l'ont élu le désavoueront. Son image de traître refera surface. S'il ne lâche rien... la France sera dans la rue. C'est le cas le plus probable, Sarkozy ne semble pas être du genre à faire des concessions et à accepter de perdre la face. La répression sera la solution la plus simple et directe pour maintenir l'ordre, et la plus désastreuse aussi.
A moins que... à moins qu'il ne mise sur la manipulation médiatique. Ses relations très fortes avec ceux qui détiennent l'essentiel de la presse française (Lagardère, Dassault) et le média le plus populaire de France (TF1 via Bouygues), alors même qu'il n'était pas encore président, autant dire qu'elles se consolideront et iront même s'étendre maintenant qu'il a le plus grand pouvoir. D'ailleurs... rapidement après la petite "escapade" de Sarkozy chez Bolloré, un sondage sort dans toute la presse, affirmant que 65% des français ne sont pas choqués par ces "vacances de luxe"... Sondage CSA, et CSA est détenu à 44% par... Bolloré ! Le sondage n'est peut-être pas truqué pour autant. Mais même s'il ne l'est pas, on peut trouver le terme "choqué" assez fort. Si on avait demandé si ces vacances étaient "normales" ou "déplacées", il y a de fortes chances que les résultats soient plus accablants pour Sarkozy.
Je ne suis ni politologue, ni politicien, mais je prends les paris, Sarkozy deviendra le président le plus détesté de l'histoire de France, à moins d'une propagande médiatique digne des pays "communistes".